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21 novembre 2019

Alice Coffin: «Encore aujourd’hui, «lesbienne» est employé comme un gros mot»

alice Cette semaine à Genève, le 23 novembre, une table ronde met en avant l’invisibilisation des lesbiennes dans notre société. Rencontre avec la journaliste Alice Coffin, qui nous parle du manque de représentation, du danger des clichés hypersexualisants de l’industrie pornographique, et de l’importance de l’accès au discours médiatique.

Dans les médias, l’espace public, les campagnes gouvernementales liées à la santé sexuelle: Où sont les femmes qui aiment les femmes? Un constat est partagé par tous les acteurs du milieu associatif de défense des droits LGBTQI+: elles restent invisibles, ou alors représentées à grand renfort de clichés. Cet état de fait a de graves conséquences sur leur santé physique et psychique, et comme le dénonçait déjà la Marche pour la visibilité lesbienne en avril dernier à Lausanne, la Suisse ne fait pas exception.

Lire aussi:  Les lesbiennes veulent sortir de l’ombre

Ce samedi 23 novembre, à Genève, une table ronde intitulée «Lesbiennes: quelles luttes, quels droits» réunira Djemila Carron, docteure en droit, Yolanda Martinez, présidente de l’association genevoise Lestime, Leslie Barbara Butch, DJ et activiste, et Alice Coffin, journaliste et cofondatrice de la Conférence européenne lesbienne. Cette dernière a accepté de répondre aux questions du Temps.

Le Temps: Qu’est-ce que «l’invisibilité lesbienne», que vous dénoncez en tant que journaliste?

Alice Coffin: Je dis «invisibilité lesbienne» mais on peut aussi parler de «lesbophobie»: des termes qui représentent tous deux le fait que les lesbiennes n’apparaissent que très rarement dans le débat public. Les lesbiennes ont été effacées du récit journalistique et de l’histoire en général. Il faut, selon moi, remettre en question les histoires que l’on nous a racontées, les représentations que l’on nous offre, particulièrement dans le champ journalistique parce que c’est ce récit de l’information qui modèle le réel et a un impact sur le quotidien de milliards de personnes.

Lire aussi notre éditorial:  Droits LGBTIQ+: le retard suisse n’est plus tolérable

Comment se traduit cette «invisibilisation» concrètement?

Dans le langage courant d’abord, on utilise très peu le terme «lesbienne», comme si c’était un gros mot. Ensuite, on a très peu de données statistiques pour, par exemple, parler de santé sexuelle entre femmes, et des infections sexuellement transmissibles* chez les lesbiennes. Cela entraîne toute une série d’autres discriminations: on n’a pas de moyens pour lutter contre ces maladies. Les interlocuteurs se défaussent: si on se dirige vers des instances qui sont censées soutenir le droit des femmes, on va nous dire «ah non, vous êtes lesbiennes, allez voir les associations homosexuelles». Au sein des associations homosexuelles, on nous dit «ah non, vous êtes des femmes donc allez voir les associations pour le droit des femmes»… C’est aussi une histoire d’économie, de financement. Tant qu’on ne financera pas des études plus précises sur les lesbiennes et qu’on ne parlera pas d’elles dans les médias, on continuera à contribuer à cette invisibilisation.

Pourquoi parlez-vous de «gros mot»?

Dans le discours médiatique, il y a comme une gêne à prononcer le mot «lesbienne». Prenons par exemple les critiques cinéma pour La Vie d’Adèle qui met en scène une relation entre deux femmes: le mot lesbienne apparaît très rarement, comme si on n’osait pas le dire. De même, quand la première ministre serbe, ouvertement lesbienne, arrive, les médias la décrivent avec des formules du style «femme homosexuelle», «gay female» chez les Anglo-Saxons: le mot lesbienne semble être imprononçable…

D’où vient ce malaise, selon vous?

Il est lié à l’usurpation connotée du terme. Le grand public a l’habitude de voir le mot associé à quelque chose de sale ou d’hypersexualisé, les mentions «interdit au jeune public». Un exemple simple: jusqu’à très récemment, lorsque l’on entrait «lesbienne» sur Google, on n’obtenait que des contenus pornographiques, destinés aux hommes hétéros. Un biais sexiste incontestable. Google vient seulement de changer son algorithme, sous la pression d’associations, pour reléguer les contenus pornographiques au second plan, après les pages d’information. A cause de cet imaginaire collectif connoté, le mot «lesbienne» n’est jamais là, dans les enquêtes politiques, dans les enquêtes de santé publiques, dans les articles. Et c’est très dur de contrer ça.

En quoi est-ce que les médias participent selon vous à l’invisibilisation que vous dénoncez?

J’en ai fait l’expérience comme journaliste. Partout, quand on propose des sujets liés aux lesbiennes, on se heurte dans les rédactions au fait que le sujet «n’intéresse pas» ou est jugé «militant», surtout s’il est proposé par une personne elle-même non hétérosexuelle. Même chose au sujet des thématiques liées au racisme: on va soupçonner les journalistes non blancs de faire de la propagande, ou les femmes qui écrivent sur le féminisme d’être des «extrémistes». Or, qui juge de ce degré de «militantisme»? Souvent des journalistes ayant un label jugé «neutre»: des hommes, Blancs, hétérosexuels, qui ont un certain âge – à aucun moment on ne s’est demandé si leur vision des choses à eux était «neutre» ou pas.

Voyez-vous un changement ces dernières années en la matière?

Cette norme journalistique de la «neutralité» ayant été inventée, elle peut et doit être remise en question pour instaurer un rapport plus juste au réel. Un nouveau journalisme, plus représentatif de la diversité de la population et donc de la réalité des personnes LGBTQI + et des minorités en tout genre, est possible. L’association des journalistes LGBTQI + a été créée pour rassembler les journalistes gays, bi, trans qui travaillaient dans des rédactions et qui vivaient cette inégalité au quotidien et ainsi donner une voix à notre communauté.

Quelles actions concrètes permettent, selon vous, de changer la donne?

Il est important d’affirmer la légitimité de sa parole dans l’espace public. C’est dans cette démarche qu’on a eu la volonté de créer la Conférence européenne lesbienne, dont la Bernoise Maria Von Känel est cofondatrice. On doit créer nos propres conférences et associations, parce que ce sont des outils très concrets pour défendre ça: la modification de l’algorithme de Google en est le meilleur exemple. Il nous faut des festivals, des événements culturels ouverts à tous qui invitent la société à réfléchir à ces enjeux de société, de santé publique, et à considérer la question en dehors des clichés. Sinon, on n’existe tout simplement pas aux yeux du monde.


«Lesbiennes: quelles luttes? Quels droits?» Les Créatives, samedi 23 novembre à 18h30 à l’Alhambra, Genève

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