L'art, fédérateur d'éternité(s)

Les œuvres d’art ne doivent pas apparaître comme des objets culturels isolés, destinés à enrichir les musées. Elles existent en rapport avec les sociétés qui les ont engendrées. Cependant, les œuvres d’art s’avèrent trop complexes pour que l’on puisse leur appliquer une analyse scientifique, aussi rigoureuse soit-elle, pour les comprendre. L’artiste traduit et imite certes, mais il crée aussi : de l’intérêt multiple de son œuvre, et, si l’analyse peut nous aider à mieux la saisir, elle ne peut point se flatter d’en décomposer toutes les données.

Toute œuvre, rappelle le sculpteur Robert Smithson, se charge de la course du temps, plongeant aussi bien dans la Préhistoire que dans les plus lointains futurs. En art, la durée importe plus que l’originalité (ici je fais une exception : l’art contemporain existe, quant à lui, pour nous accompagner dans notre quotidien), valeur contingente et fugitive, condamnée à un éternel dépassement. C’est pourquoi Delacroix souhaitait être un « pur classique ».

Cette capacité à durer constitue un critère de l’art. De là son mystère : l’étonnement de constater que l’art grec puisse toujours nous émouvoir, et ce, après des siècles, que l’art pariétal, de sa découverte à nos jours, nous apparaisse encore comme l’origine de l’art.

L’éblouissement d’un commencement, tel se manifeste l’art. A Lascaux, par exemple, ce qui nous touche c’est l’apparition d’une pensée créatrice, telle une vie qui s’éveille, sous nos yeux émerveillés.

Parallèlement à sa fonction rituelle et magique, plus prégnante avant l’avènement de la modernité, la fonction ludique constitue une condition essentielle de l’émergence de l’art. L’art possède aussi un autre pouvoir : celui de défier la mort. L’art est donc un passeur de vie(s).

C’est pourquoi, dans notre époque tourmentée, où la division des hommes est prônée, replongeons-nous dans les héritages que nous sont légués par tous ces passeurs de cultures. Car si l’art est le témoignage le plus démonstratif de partages culturels, de rencontres humaines, il est aussi un vecteur d’émancipation pour sortir de la violence. L’art ne pourra jamais, ô combien, être un diviseur. Il continuera d’être, toujours, un fédérateur d’éternités.