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Vivons nos temps
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17 avril 2020

Nous avons rendu le monde indisponible !?

 

ruines

 C’est vrai, je ne me suis pas adressé à vous, cher(e)s internautes depuis le début de cette pandémie. Mea culpa !

C’est que je lisais, déjà que je lis beaucoup habituellement, mais dans cette période, mes lectures sont axées sur un thème précis : que nous arrive-t-il ?

Avec la mise en indisponibilité du monde, nouvelle thématique développée par Harmut Rosa, avec la mise en suspens et la mise en risque, j’ai pu toucher du doigt, tout comme la plupart d’entre vous, que nos certitudes sont truquées, et même plutôt dangereuses. L’idée d’un monde rationnel, éclairé, n’est pas normale – elle est particulière au monde occidental. Et, consécutivement, l’idée d’une société où tout se vend et tout s’achète, où nous ne serions que des homo oecumenicus, fondés sur la rationalité économique, n’est pas normale non plus, elle est singulière. Cette idée n’est qu’une proposition que font les petites mains économiques.

Selon Anne Vièle, - dont je vous invite ici à découvrir sa postface de l’ouvrage d’Isabelle Stengers (La sorcellerie capitaliste) - « il est tout à fait possible de constituer une épreuve, consistant à mettre en suspens cette idée (se méfier), puis la mettre en risque (tiens, une société économique, quelle drôle d’idée, tu es sûr ?). Pourquoi accepterions-nous de payer le prix de vivre dans une société économique ? Nous ne sommes plus des homo oecumenicus, mais des homo vulnerabilis ! »

Ecoutons le message d’Anne Vièle qui mérite d’être entendu par le plus grand nombre : « Le monde futur est une inconnue, nous sommes terriblement vulnérables et il est dangereux de simplifier la fabrication de solutions, comme par exemple dire qu’il suffit de « progresser ». Progresser comment, vers où ? Il n’est pas évident que les progrès économiques, ceux du capitalisme, bénéficient à tous (il n’y a qu’à voir les dégâts), et il est hors de question d’être les œufs cassés de l’omelette. Ce qui arrive aux autres (être hors circuit ou œufs cassés) pourrait bien nous arriver si nous ne nous protégeons pas.

Or, nous protéger, penser, compliquer, oser ne pas se faire capturer, c’est déjà amorcer la transformation du circuit au lieu de faire des concessions pour finalement entrer dans le circuit du système ou du capitalisme le coeur fendu, le corps affecté.

Ralentissons un peu… Les économistes ne sont pas les seuls en cause. Il y a aussi des « petites mains » étatiques qui fabriquent les règlements, les lois, les normes, la discipline...Qui permettent de faire des économies de pensée et notamment de pensée par équivalence. Penser par équivalence revient à dire : « C’est le même cas que...et donc ! » - cela revient à mettre les gens dans les cases : homme, femme, chômeur, bénéficiaire de minimas sociaux, minorité ethnique, bourgeois friqué, pauvre, parisien, dépressif, handicapé, drogué, contrat de qualif, etc. Tout cela serait des catégories simples et normales avec lesquelles on pourrait nous définir, nous décrire.

Et pourtant, il suffit d’écouter son entourage, son expérience pour arriver à la conclusion que « c’est le même cas que » arrive assez souvent. Nous disons souvent : « Je fais toujours les mêmes conneries ».Mais est-ce que ce sont vraiment les mêmes ? Aujourd’hui serait semblable à hier ? Maintenant j’ai envie de dire « non » encore plus qu’avant ; fort heureusement, car sinon c’est la dépression immédiate !

Ralentissons encore… Nous avons pris l’habitude de prendre toute la place, toutes les places, de prendre le pouvoir sur l’autre, créant de ce fait l’impossibilité d’apprendre de l’autre, de faire avec les autres. Mais attention (homo vulnerabilis), ce que nous dénonçons assez spontanément chez les économistes, les hommes et femmes politiques, les psychologues, les psychiatres peut aussi nous arriver. Faire attention, se protéger et notamment du « pouvoir sur » les autres. Comment alors faire de la place aux autres ?

Le problème est qu’en France, tout particulièrement, à la différence des autres, nous avons mis ce qui nous oblige (les droits de l’homme par exemple) sur le compte d’un universel valable pour tous. Les droits de l’homme sont tellement universels qu’ils nous définissent ; et que nous ne pensons même plus à les remettre en cause, à négocier avec eux. Cet « universel » est devenu pour nous tellement fondamental qu’il nous est impossible de penser que l’idée de « droits de l’homme » pourrait bien paraître totalement irrationnelle à certains habitants de l’Amazonie (on en parle beaucoup ces temps-ci). Je le rappelle ici, les droits de l’homme, pour leur partie droits civils et politiques, datent de 1789, pour la partie économique et sociale de 1924, et la Déclaration universelle de 1948. A l’origine de cela, deux pays : la France et les Etats-Unis.

Il est important aussi, de se souvenir du fait que cette proposition universelle vient de nos grands-parents et de nos parents, ceux de France et des Etats-Unis. Entre nous et eux, il y a eu la colonisation, puis l’immigration et la mondialisation. Cela nous a donné – et nous donne encore ici et maintenant – de multiples occasions de rencontrer tous ces autres peuples, et pourtant nous n’avons pas réussi – nous n’arrivons toujours pas – à saisir ces occasions pour transformer ce qui fondamental pour « nous » en ce qui pourrait être fondamental « pour nous avec eux ».

Il nous faut réfléchir à notre rapport à l’État. Il n’y a pas d’un côté le capitalisme privé et de l’autre l’État, même si c’est une des alternatives infernales qui circulent depuis longtemps. Les deux sont liés, articulés. Le capitalisme a besoin que les pouvoirs étatiques définissent, réglementent le marché, les prix, la commercialisation des médicaments, le niveau des salaires, mais aussi qu’ils disciplinent la population (ça c’est le travail des petites mains psychiatres, psychologues, juristes, pénalistes, pédagogues, formateurs, architectes, etc.). Aujourd’hui, on nous dit qu’il faut apprendre à apprendre, se prendre en charge, être responsable, se former tout au long de sa vie, progresser dans l’intérêt de tous. Et même si cela doit passer par regarder les œufs cassés (les hommes et les femmes aussi) avec des yeux désabusés. Qu’y pouvons-nous ? Faire partie de la société cela se mérite… Si des hommes et des femmes sont cassés, s’ils croient leur vie détruite, c’est de leur faute !

Reprenons, nous avons affaire à un « flux réorganisateur mouvant » entretenu par de petites mains qui refusent de penser, qui créent en permanence des alternatives infernales pour capturer notre pensée, rendant incontournables leurs certitudes : aucune mise en suspens ou mise en risque ne serait possible !

Nous devons être fiers d’être vulnérables et en même temps nous sentons bien le besoin de nous protéger, et qu’il pourrait être une bonne idée de poser le problème localement. Tout se passe ici et maintenant. Inutile de nous proposer de grandes explications (tous les problèmes n’ont pas besoin d’en passer par le niveau national ou international) – des grandes explications qui oublient les moindres détails et nous avec. A chaque problème, sa dimension : son collectif, son espace, ses pratiques.

Rappelons-nous juste que, dans le passé aussi, l’idée de réfléchir et d’agir localement existait probablement.. Pour les retraites et la Sécu (notre santé est bien souffrante et nos retraites ont été vendues aux fonds de pension), il y a eu d’autres dispositifs que celui que nous connaissons aujourd’hui, plus locaux, moins étatiques, moins capitalistiques. Réactiver l’histoire veut dire que quelque part, à un moment donné, il y a peut-être eu des propositions (des ressources), certes locales, qui pourraient nous aider à résister à cette alternative infernale. Il y a eu d’autres formes de mutualisme, des propositions qui valent la peine qu’on se mette à penser collectivement avec elles, aussi».

Les ruines* jouent aussi le rôle d’une sorte de memento mori du capitalisme : les signifiants qui structurent ce monde (croissance, emploi, dette) sont périssables. La vanité de ce monde se love au coeur d’une grande esthétisation de la ruine qui en signe, en vérité, l’immense étendue d’incrédulité qui l’y rattache.

Nos ruines témoignent de la désindustrialisation, de ce double fait que les révolutions industrielles, du moteur à vapeur puis du moteur électrique, auront laissé des vestiges énormes et se seront succédé à une vitesse exceptionnelle, rarement connue dans l’histoire. Le caractère exponentiel du développement du capitalisme produit de la ruine, du fait du raccourcissement des cycles et de la nature des appareils productifs en jeu. De la ruine, et de la mort, la ruine n’étant que l’habit revêtu de la mort.

En conclusion de ce long édito, je suis pessimiste sur la capacité des humains à apprendre des leçons de leurs erreurs. Et je vous propose la pensée d’Harmut Rosa, que je cite au début de cet édito, il faut recréer des « résonances », c’est-à-dire des facultés d’entrer en relation avec les choses et les autres, et non de les posséder.

* Lire Ruine. Invention d’un objet critique de Diane Scott, un ouvrage exceptionnel !

Rendre le monde indisponible, d’Harmut Rosa, 2020

Et les derniers éditos de Rebecca Amsellem ici et

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