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29 janvier 2020

Le GIEC dans tous ses états

giec Le GIEC est devenu une institution centrale dans le débat sur l’avenir du climat et dans les politiques de réduction du réchauffement. Mais comment ce groupe s’est-il constitué ? Comment est-il organisé ? D’où lui vient son influence ?

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a fêté ses trente ans en 2018. L’organisation, créée en 1988 sous les auspices de l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), est une des instances d’évaluation globale de l’environnement les plus anciennes et les plus institutionnalisées. Le GIEC a publié cinq rapports (en 1990, 1995, 2001, 2007 et 2014) et de nombreux rapports spéciaux, dont le rapport « Réchauffement à 1.5°C » publié en octobre 2018, qui a contribué à populariser la notion d’ « état d’urgence climatique ». En 2007, il s’est vu décerner le prix Nobel de la paix, conjointement à l’ancien vice-président américain Al Gore pour « leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l’homme et pour avoir posé les fondements pour les mesures nécessaires à la lutte contre ces changements ». Le GIEC est souvent présenté comme un modèle d’expertise internationale, qui, dans d’autres contextes, permettrait d’accroître la visibilité des problèmes environnementaux. Ainsi la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui a vu le jour en 2012, s’inspirait en partie du GIEC.

De nombreuses controverses ont pourtant pavé l’histoire du GIEC et l’autorité dont l’organisation jouit aujourd’hui est le résultat d’un travail d’adaptation sans précédent. Son autorité est encore souvent remise en question, car si le GIEC bénéficie du soutien inconditionnel des ONG environnementales et de nombreux mouvements sociaux, ses conclusions ne font pas l’unanimité et sont encore contestées par plusieurs dirigeants, dont Donald J. Trump aux États-Unis, et Jair Bolsonaro au Brésil. Dans cet essai, je reviens sur la construction de l’autorité du GIEC comme processus de négociation entre les différents acteurs qui font l’organisation (scientifiques, diplomates, bureaucrates, etc.). Après une brève présentation de l’organisation et de sa gouvernance, je présente quatre enjeux qui caractérisent ses pratiques à l’interface entre science et diplomatie. Ces enjeux montrent que l’autorité du GIEC n’est pas seulement épistémique (car perçu comme crédible), mais également politique (car perçu comme légitime).

La genèse d’une organisation hybride

La création du Giec est liée à la construction du climat comme problème environnemental global. La question du réchauffement climatique est tout d’abord indissociable du passage d’une conception locale du climat à une définition en des termes globaux, perceptible dans les discours scientifiques et politiques à partir des années 1960. Cette évolution est principalement liée au développement des technologies computationnelles comme le système mondial de traitement des données et de prévision (SMRDP) et les modèles globaux du climat (Edwards 2010). Selon Clark Miller, « la création du GIEC signifiait la suprématie de la vision selon laquelle le changement climatique constitue un risque environnemental global qui ne peut être traité que dans le cadre d’une coopération politique globale » (2004, p. 54, notre traduction). L’organisation a ensuite également contribué, avec la publication de ses rapports, à ce changement de paradigme scientifique qui a rendu nécessaire et envisageable une politique globale du climat.

La mise à l’agenda politique du climat culmine dans les années 1980, au lendemain d’une série de conférences initiées par l’OMM, le PNUE et le Conseil international pour la science (ICSU) à Villach, en Autriche. La déclaration qui en découle établit l’existence d’un consensus sur l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) attribuable aux activités humaines. Pour la première fois, les experts appellent à une convention sur le climat. Le rapport trouve un écho politique favorable, dans un contexte d’attention croissante à l’environnement, et en particulier à l’amincissement de la couche d’ozone. En effet, les négociations au sein du PNUE pour trouver un substitut aux chlorofluorocarbures (CFC) sont bien entamées et la Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone est signée en 1985.

Dans le cas du climat, les ambitions du PNUE se heurtent aux réticences des États-Unis, qui voient d’un mauvais œil l’activisme environnemental de son directeur exécutif, Mostafa Tolba. Les États-Unis prennent rapidement la mesure des conséquences économiques d’une régulation des émissions de GES et les voix climatosceptiques commencent à se superposer à celles des climatologues. Dans ce contexte, les agences fédérales américaines proposent la mise en place d’un mécanisme intergouvernemental (gouverné par ses États membres) d’évaluation des connaissances scientifiques sur le climat. La création du GIEC est entérinée par l’Assemblée générale des Nations unies (AG) en 1988 et confiée au PNUE et à l’OMM. Si certains l’interprètent comme une première étape vers des engagements plus ambitieux, d’autres y voient un moyen de retarder l’élaboration d’une convention internationale sur le climat.

Dans tous les cas, le GIEC représente une innovation institutionnelle sans précédent et marque la perte de contrôle des organisations internationales au profit des gouvernements au sein de la gouvernance internationale de l’environnement. Avec la publication du premier rapport d’évaluation (AR1) en 1990, le GIEC devient hégémonique en matière d’évaluation globale de l’environnement, limitant ainsi la capacité des acteurs qui n’y ont pas accès de peser sur le processus de négociation. Cependant, en devenant « l’autorité ultime » en matière de science du climat, l’organisation devient également la cible privilégiée des groupes climatosceptiques. Progressivement, le GIEC s’émancipe du PNUE et de l’OMM. Les intérêts des organisations parentes sont principalement représentés par le secrétariat du GIEC, dont le siège est situé dans les locaux de l’OMM à Genève. Cette répartition des tâches n’est pas sans créer des tensions, car les deux organisations voient d’un mauvais œil leur rôle relégué à un soutien administratif (et non technique). Il n’en demeure pas moins que le secrétariat joue un rôle crucial en tant que mémoire institutionnelle du GIEC.

Voir l'analyse documentée de Kari De Pryck, docteure en science politique, diplômée de l’Université de Genève et Sciences Po Paris.                

kari

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