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1 mars 2018

Consolidation démocratique ou déconsolidation ? de Brice Couturier

404 En 20 ans, on est passé de l'idée que la démocratie était devenue "la seule option possible" à celle selon laquelle elle est concurrencée de tous côtés et fragilisée en interne.

L’expression « démocratie consolidée » a été popularisée par deux politologues, Juan Linz et Alfred Stepan, experts en « transitologie ». Ils l’utilisaient dans le livre qu’ils ont cosigné en 1996, Problems of Democratic Transition and Consolidation. Réfléchissant sur le cas de différents pays d’Amérique latine et d’Europe de l’est, « en transition », à cette époque de régimes autoritaires à la démocratie, ils mettaient en garde  contre une illusion alors fréquente. Le passage à la démocratie est un processus, dont l’aboutissement, écrivaient-ils, n’est nullement garanti. D’où la distinction entre transition vers la démocratie et consolidation de la démocratie. Yascha Mounk fait référence à leurs théories parce qu’elles n’ont pas perdu de leur pertinence.
Linz et Stepan avaient, en effet, identifié 5 « arènes » différentes sur lesquelles se joue, à leur avis, la réussite de toute consolidation démocratique. 

Les 5 conditions à remplir pour qu'une démocratie puisse être considérée comme "consolidée". 

La première condition à l’installation d’une démocratie pérenne, c’est une société civile dynamique, capable éventuellement d’opposer à l’Etat sa propre force. Cela va des syndicats aux associations en passant par les religions organisées. Pas de démocratie avec une population atomisée, trop méfiante pour s’organiser de manière autonome. 

Ensuite, il faut encore une société politique stable, un système de partis dont les dirigeants acceptent les règles du jeu fixées d’un commun accord pour la sélection des dirigeants de l’Etat. 

Il faut encore un Etat de droit, disposant du monopole de la violence et appliquant la loi. 

Un appareil bureaucratique aussi peu politisé que possible et obéissant au pouvoir politique.

Enfin, ce que Linz et Stepan appelaient une « société économique », c’est-à-dire un marché sur lequel peuvent s’exprimer les demandes matérielles de la population. 

Pour Linz et Stepan, la démocratie pouvait être considérée comme « consolidée », lorsqu’étaient solidement installées ces 5 arènes, qu’elles interagissaient entre elles de manière non conflictuelle. En bref, lorsque la démocratie était devenue « the only game in town », la seule option possible. Les solutions non démocratiques n'étant plus prônées que par des minorités marginalisées du jeu politique. 

Mais, relève aujourd’hui Yascha Mounk, qu’on puisse ainsi décrire les conditions de la consolidation démocratique ouvre l’espace conceptuel à une possible « déconstruction démocratique ». On voit, soit dit en passant, combien, en vingt ans, on est passé de l’optimisme au pessimisme quant à la dynamique de la démocratie. Aujourd’hui, nous assistons au raidissement politique de la Chine, à la « sultanisation » de la Turquie d’Erdogan, mais aussi de la Russie de Poutine. A la montée des démocraties illibérales en Europe centrale. Pas de doute, nous sommes entrés dans une phase de déconstruction démocratique…

Nous-mêmes, en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, sommes menacés, certes à un moindre degré, par cette « déconsolidation démocratique ».

Mounk énumère les signes inquiétants : la société civile ? On l’a dit, une proportion croissante de la population, en particulier chez les jeunes, commence à penser qu’il existe des alternatives autoritaires plus convaincantes. La démocratie n’est plus « la seule option possible ». En outre, syndicats et associations sont en passe d’être détrônés par les réseaux sociaux. On ne se réunit plus que, seuls, chacun devant son écran d’ordinateur. Dans son dernier livre, où ces questions sont évoquées, Allons-nous renoncer à la démocratie ?, le philosophe israélien Carlo Strenger montre comment la contre-culture des sixties a débouché paradoxalement sur une société de consommateurs passifs, une mentalité collective d’enfants gâtés, qui attend son bonheur de l’Etat. J’y reviendrai. 

Mais poursuivons l’examen des critères de la consolidation démocratique selon Linz et Stepan, avec le regard d’aujourd’hui, en compagnie de Yascha Mounk. Une société politique stable ? Un accord des partis sur les règles du jeu ? Un peu partout, on assiste à la percée fulgurante de partis antisystèmes. En Italie, ce laboratoire politique de l’Europe, le Mouvement 5 Etoiles est en tête des sondages. 

« Il est au moins plausible de penser, écrivait Mounk dans The Journal of Democracy, en juillet 2016, qu’un tel processus de déconstruction démocratique peut être déjà en cours dans un certain nombre de démocraties établies en Amérique du Nord et en Europe occidentale. » Et il en voyait les signes dans le choix de Donald Trump comme candidat à la présidentielle par le parti républicain. Depuis, il a été élu président... Mais en Europe aussi, relevait-il, la méfiance de la société civile envers les partis installés, les partis de gouvernement, atteint partout un niveau inquiétant. 

Et, bien sûr, en Europe centrale et orientale, le phénomène a déjà atteint un seuil critique, avec l’élection de leaders populistes. Et de conclure : « aucun régime dans l’histoire de l’humanité n’a jamais exercé un attrait aussi universel que ne le fait aujourd’hui la démocratie. Et cependant, la réalité des démocraties contemporaines paraît moins triomphante que ce fait ne pourrait le suggérer. »

Brice Couturier est chroniqueur sur France Culture.

Photo : lesobservateursch

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