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Vivons nos temps
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1 mars 2023

Et si nous nous convertissions au temps proustien ?

fleurs

Le père de Marcel fut un as du baromètre. Il prenait également un réel plaisir à consulter les dépliants où figurent les horaires de train : savoir que celui de 13h22 permet de gagner 10 minutes sur celui de 12h35 ressemble pour lui à une conquête. Anticiper la météo ou connaître la durée d’un déplacement relèvent d’une même passion, celle de la prévision et de la mesure. Le temps ici s’apparente alors à un espace-temps maîtrisé par un entendement d’ingénieur, masculin et sûr.

Marcel, quant à lui, réagissait au temps comme une peau au soleil : par une hypersensibilisation soudaine, qui réchauffe ou provoque une allergie. Les « pores » de l’âme reçoivent toutes sortes de sensations fugitives qui marquent la personnalité de l’enfant au sens le plus physique du terme.

Car le narrateur d’« A la recherche du temps perdu » évoluait dans un temps non mesurable, aussi incompréhensible qu’essentiel : il hypersensibilisait la vie.

Et si cela ne la rendait pas plus heureuse, ni moins tragique, cela lui redonnait l’intensité qui était la sienne et que la mondanité lui faisait perdre ostensiblement.

Dans cette durée proustienne se perdent, se retrouvent, se court-circuitent des espaces-temps émotionnels. Des points de vue se confondent avec des instants, qui reviendront ou non, au hasard d’une sensation.

Le temps est sensible avant tout, merveilleusement et atrocement sensible.

A l’heure d’une énième réforme des retraites âprement discutée – et dont j’ai pu noter les pires absurdités de la pseudo-majorité actuelle - le temps proustien est garant d’une autre vision de la vie. Aucune existence ne se comptabilise en nombre d’heures, même lorsque l’on meurt trop tôt. Croyez-vous qu’il est formidable de vivre 120 ans ? Et que l’on cesse de nous expliquer comment nous devons vivre ! Quant au travail ...

« Une heure n’est pas qu’une heure, dit Proust. Mais qu’est-ce qu’une heure ? Demandez à ceux qui meurent, à ceux qui s’aiment, à ceux qui sont malades ».

Les instants que nous vivons se confondent avec ceux que nous avons vécus, ils les colorent, les perturbent aussi. Ce qui compte c’est le goût que les choses.

« Une heure n’est pas qu’une heure », c’est un télescopage de sensations et d’images qui remontent à la surface. Un malade d’Alzheimer est plus proche du narrateur d’A la recherche du temps perdu que le plus brillant des ingénieurs.

Chez Proust, les mots retournent à la vie et les adultes retrouvent leurs infantiles anxiétés. Car si le temps est un tissu affectif, il dessine « arbitrairement » autour de nous un cercle d’émotions et de souvenirs qui habillent notre être au présent.

Notre identité profonde n’est rien d’autre que ce moi fragile et intermittent qui éprouve le monde selon sa tonalité affective. Ce sont ces instants sensibles qui disent qui nous sommes et non nos projets, nos prévisions, nos raisonnements.

Ce n’est qu’en se convertissant au temps affectif que l’on retrouvera du sens, un sens, quelque chose qui s’apparente à un tissu de significations et qui me fait croire que l'entr'aide sera enfin réhabilitée.

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