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14 mars 2021

Corps sans maîtres. Silvia Federici "Par-delà les frontières du corps.Repenser, refaire et revendiquer le corps dans le capital"

corps

Le féminisme de Silvia Federici s’ancre dans le corps. Retraçant l’histoire politique de l’exploitation du corps féminin, son nouvel ouvrage esquisse aussi la voie d’une réappropriation et d’une libération de ce corps, par l’interrelation avec le vivant, et par la danse.

Comment reprendre corps ? Cette question sert de point de départ à Silvia Federici, universitaire et militante féministe états-unienne, dans son nouvel ouvrage rassemblant des essais et des articles écrits tout au long de sa vie. Déjà, dans son célèbre Caliban et la sorcière, elle avait montré comment la transition entre les systèmes féodal et capitaliste, dans l’Europe du XVIe et XVIIe siècle, s’était effectuée au prix d’une mécanisation agressive des corps féminins. L’institutionnalisation de la chasse aux sorcières fut à l’origine, affirmait-t-elle, d’une transformation du corps des femmes en machines : corps laborieux utilisés comme des outils, mais aussi machines reproductives, servant le renouveau perpétuel de la main d’œuvre. Et si elles étaient systématiquement attaquées, c’est que leur sexualité, leur rôle primordial dans la reproduction et leur aptitude à soigner constituaient des biens et des pouvoirs collectifs, faisant d’elles des obstacles à l’extension du système économique capitaliste, à l’accumulation et la polarisation des richesses, à la privatisation des moyens de production. À rebours de l’analyse marxiste selon laquelle l’oppression des femmes sous le capitalisme serait accidentelle, le féminisme autonome dont S. Federici se revendique suggère que la séparation de la production et de la reproduction qu’il initie est, en fait, au principe même de la division du travail et de la différenciation sexuelle.

C’est dans la continuité de Caliban et la sorcière que doit se lire cette nouvelle œuvre, dans laquelle S. Federici revient sur l’histoire politique du corps féminin. Mais ce qu’elle entreprend dans Par-delà les frontières du corps dépasse la seule enquête historique : « J’ai décidé d’écrire plutôt sur le corps et ses pouvoirs – pouvoir d’agir, de se transformer, le corps comme limite à l’exploitation » (p. 131) explique-t-elle. Il s’agit de proposer une théorie politique qui nous permette de reprendre corps, c’est-à-dire de « revendiquer notre capacité à prendre des décisions sur les réalités qui le touchent » (p. 27). Cette réappropriation corporelle est au fondement de l’autodétermination, point nodal du féminisme autonome de S. Federici.

Mais sa théorie du corps se nourrit également de l’écoféminisme, réclamant une réaffirmation du pouvoir des femmes à travers la revalorisation du lien entre le corps et la nature. Parce que nous étions des corps vivants avant de devenir des machines, nous entrons en « continuité magique avec les autres êtres vivants qui peuplent la terre » (p. 28). La structure même de l’ouvrage reflète ce continuum - ce lien originel et organique qui unirait l’ensemble du vivant. Partant de son expérience, en tant qu’universitaire mais aussi en tant que militante, elle retrace le chemin parcouru par les mouvements féministes dans la lutte pour l’autodétermination. Un chemin qu’elle a elle-même emprunté, ce qui l’amène à s’engager dans son récit et nous fait éprouver la continuité d’une théorie du corps toujours en train de se faire. Les textes sont organisés en quatre parties thématiques, correspondant aux grandes étapes de la réappropriation du corps féminin par les femmes. Et la dernière partie, qui fait place à son « Éloge du corps dansant », s’impose comme un contre-discours convaincant. La théorie du corps en mouvement que S. Federici y développe aboutit à la proposition singulière d’une émancipation corporelle par la danse.

Comprendre le corps comme un terrain politique

L’autrice réitère d’abord la déconstruction des processus de mécanisation des corps féminins. C’est l’occasion pour elle de rappeler les apports et les limites des discours féministes des années 1970 : la lutte pour le contrôle de la procréation n’a pas suffisamment été reliée, déplore-t-elle, aux luttes visant à transformer les conditions matérielles d’existence des femmes. Or, l’autonomie des femmes ne peut se réaliser pleinement dans la précarité économique. Pour S. Federici, il s’agit avant tout de comprendre le corps comme un terrain politique à reconquérir. Un postulat hérité du féminisme communautaire, qui prend ses racines en Amérique latine. Pour les militantes boliviennes de “Mujeres Creando Comunidad” comme pour les autonomistes européennes, l’enjeu est celui de l’autonomie politique des femmes. Mais l’autodétermination passe aussi par la reconnaissance d’une identité politique spécifique, celle des communautés autochtones auxquelles elles appartiennent. Ce que S. Federici retient du discours communautaire, c’est surtout l’efficacité des concepts de corps-territoire et de territoire-terre, décrivant un lien nécessaire entre le corps, la terre et le territoire.

Théoriser ainsi le corps impliquerait aussi une certaine pratique. Le langage du corps ne peut plus légitimement être exclu des discussions politiques. On pourrait croire que faire l’éloge du corps dansant implique un repli sur soi, une fuite du politique dans l’esthétique. Mais au contraire, la danse doit se comprendre, précise l’autrice, comme une « exploration et une invention des possibles du corps : ses facultés, son langage, son articulation avec les aspirations de notre être » (p. 136). La danse, comme mouvement libre et spontané dont le corps a toujours été capable, prend une valeur politique dès l’instant qu’elle est comprise comme « une capacité de transformation de notre corps, des autres et du monde » (p. 137). La voie que dessine l’autrice permet de dépasser l’alternative au cœur des polémiques actuelles qui entourent le corps, opposant le déterminisme biologique à la « représentation performative ou textuelle du corps » (p. 31). Le corps n’est plus pensé comme un donné dictant son identité au sujet ; il n’est plus subi, mais devient actif, principe de transformation. Voir l'analyse de Cléo Salion-Girault, agrégée de philosophie

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