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14 mai 2020

La littérature nous a-t-elle finalement "sauvés" ?

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Alors que nous remettons un timide pied dehors, nous commençons à faire le bilan des heures passées chez soi, au chaud avec un livre. Mais n’était-ce pas une illusion, voire un danger, que de vouloir trouver un refuge ou un miroir dans la fiction ?

Le président de la République avait suggéré aux Français de profiter du temps de confinement pour se retrouver et pour lire. Cela n’a pas été possible pour tous. On s’est pourtant rapidement tourné vers les écrivains pour qu’ils partagent leur sentiment sur l’époque que nous traversons, à travers notamment les fameux journaux de confinement qui ont fleuri en grand nombre.

Les écrivains spécialistes de tout ?

Cela n'a pas été pour plaire à l’écrivain et critique littéraire René de Ceccatty, qui le dit dans le numéro de mai des Lettres françaises. Pour lui, les écrivains ne sont pas spécialistes de tout, et pourraient avantageusement s’en tenir à leur domaine :

"Ma conviction est donc qu’il convient que les écrivains déjà publiés et expérimentés suspendent tout témoignage personnel et bien sûr s’abstiennent de tout conseil, non seulement de comportement hygiénique, sanitaire, économique, relationnel, mais aussi de lecture. Avec tout le respect que l’on doit à Camus, à Manzoni (pour les Italiens), à Giono et à Daniel Defoe, on a envie d’étrangler la dixième personne qui vous conseille de vous replonger dans leurs œuvres décrivant la peste ou le choléra. Mais on a aussi envie d’étrangler celui qui vous parle des délices de relire Proust, Balzac, Flaubert et Tolstoï. Et bien sûr, on veut étrangler celui qui commente un livre à peine paru, mais qui est inaccessible. Tout livre devient dérisoire, dès lors que sa lecture est conseillée".

La littérature ne nous sauvera pas

René de Ceccatty ajoute : "Alors, la lecture, la littérature, la critique ? Dans cette situation de doute sur tous les fronts, le livre est le plus mal loti. Parce que la littérature ne peut pas être un secours contre une crise qui s’étend à tous les domaines de l’activité humaine. Ni en tant que lecture, ni en tant qu’écriture. Pour écrire et pour lire et pour juger d’un livre, il faut se sentir environné d’un monde qui n’est pas menaçant. Il faut que l’intellect ait une place qui permet de contrôler l’attention et de la centrer, il faut qu’il soit libre pour choisir son objet, l’analyser, le développer, le faire vivre. Cet objet intellectuel, au moment où j’écris, même si je suis en mesure de développer ma pensée, nous ne sommes pas libres de le distinguer d’une situation collective où le monde est plongé."

Reste la musique, qui est peut-être une solution plus tolérable, dit René de Ceccatty. La littérature, elle, retrouvera plus tard sa fonction véritable, qui est de porter un regard à distance de l’actualité :

"Un jour viendra où un grand poète, un grand écrivain, un grand cinéaste se souviendront de l’eau claire des canaux de Venise libérée des touristes et des paquebots de la Giudecca, des tentures de l’armée sur les prés de Central Park, des Champs-Élysées vides, des bateaux-hôpitaux de la Croix-Rouge dans les rades des ports, des flics insultant les vieilles dames sans « autocertifications » ainsi que disent, plus ridicules que nous, les Italiens, des grimaces de la porte-parole du gouvernement assurant que les masques sont inutiles, de la voix tremblante du mensonge qu’elle profère d’Agnès Buzyn affirmant qu’aucun danger ne menace la France, le 23 janvier 2020, de Kiri Te Kanawa parlant des masques improvisés qu’elle coud dans sa maison en Nouvelle-Zélande aux téléspectateurs anglais, en direct au journal télévisé de la BBC, du président de la République française fixant l’objectif de ses yeux vides et prenant une grosse voix militaire pour gronder son peuple pour son indiscipline quatre jours après l’avoir secoué en rigolant pour qu’il aille au théâtre".

Lire inconfortablement

Non, vraiment, la littérature ne nous a pas sauvés, estime également l’écrivain et critique littéraire Fabrice Gabriel, dont l’avis rejoint celui de René de Ceccatty, quand il explique dans A.O.C. que la littérature, "la vraie", ne console de rien, "heureusement". Aussi, plutôt que de lire des journaux de confinement ou de regarder des séries consolatrices, il vaudrait mieux reprendre un exemplaire du Château de Kafka, roman dont l’inachèvement correspond bien à la période actuelle, car c’est le déséquilibre auquel il nous soumet qui révèle l’inconfort du moment.

"On voudrait relire pour cela Le Château, presque en réaction contre une forme de routine qui se serait installée, marronnier de printemps, dans la presse ou ailleurs, en ligne(s), sous des plumes diverses, non sans paresse parfois : raconter sa vie intérieure, à l’intérieur de son chez soi, là où on est riche de son intériorité, dans cette affirmation répétitive d’un monde protégé, et où les livres, leur souvenir, l’acajou de la culture où on les range si sagement, nous feraient un abri, quelque chose même comme un bunker un peu bourgeois. Drôle d’espace du dedans, en vérité, bien loin des gouffres ou propriétés d’Henri Michaux, par exemple, et qui, disons-le, nous agace légèrement".

Ecouter l'émission sur France Culture

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