Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vivons nos temps
Vivons nos temps
Publicité
Derniers commentaires
Vivons nos temps
Archives
Visiteurs
Depuis la création 301 100
15 janvier 2020

Johann Chapoutot : "Le nazisme pense avec 40 ans d'avance ce qu'on va appeler le New Public Management"

johan Avec sa description du travail dans l'Allemagne nazie, l'historien Johann Chapoutot bat en brèche quelques idées reçues comme un supposé "Etat fort" propre au IIIe Reich. Et tisse des liens avec certains aspects du management moderne, lorsque l'individu disparaît au profit de l'entreprise.

Raphaël Bourgois : Associer nazisme et management est un mouvement de pensée assez contre-intuitif. Dans un premier temps, on ne voit pas très bien le rapport. 

Johann Chapoutot : En effet. Et même quand on le fait, on se dit que si les nazis se sont intéressés au management, cela devait forcément être sous un angle vertical, autoritaire et oppressif. Alors qu’en fait, pas du tout.

A travers la figure de Reinhard Höhn notamment, sur laquelle vous avez particulièrement travaillé, vous montrez que de hauts fonctionnaires nazis ont réfléchi très tôt aux questions d’organisation du travail. 

Reinhard Höhn, jeune juriste brillant, et fonctionnaire appartenant à la SS, va se voir confier la mission de réfléchir à la meilleure façon d’administrer l’immense territoire du Reich avec des moyens réduits. Le Reich s'est étendu de manière inédite dans l'histoire allemande, et parce qu'il y a de plus en plus d'hommes sous l'uniforme, il y a moins de "ressources humaines" à l'arrière. Il faut donc penser la transformation de l'administration, pour faire plus avec moins. Par ailleurs, en matière économique, il s'agit de produire des quantités absolument inouïes d’armement afin de conquérir l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural. C’est dans ce contexte que Reinhard Höhn va mettre au point sa conception de la Menschen-führung, "la direction des hommes", un mot inventé pour parler de management parce que les nazis refusent d’utiliser des termes anglais. Ce qui est intéressant, c’est qu’après 1945, cette conception va continuer d’alimenter le monde du travail en Allemagne. Bénéficiant des lois d'amnistie à partir de 1949, Reinhard Höhn va être employé par un syndicat patronal et, très rapidement, se voir mandaté pour créer une école de cadres. C’est ainsi qu’il fonde en 1956 l’académie de Bad Harzburg au sein de laquelle il va former un certain nombre de dirigeants de grandes entreprises allemandes.

Depuis les travaux de la philosophe Hannah Arendt et ce que l’on nomme "la banalité du mal", c'est-à-dire l'efficacité bureaucratique au service de la solution finale, qui a permis d'organiser la mort de six millions de juifs dans les camps de concentration, on considère que le régime nazi avait atteint une certaine perfection dans la mise en œuvre de ses différentes politiques. 

Nous sommes aussi influencés par les discours que les nazis ont tenu sur eux-mêmes : l'organisation impeccable, les trains qui arrivent à l'heure, etc. Dans la pratique, à partir de 1933, on observe que l’administration nazie, c’est une cacophonie permanente, un gigantesque maelström entropique, consommateur de temps, d'énergie et d'argent. Le nazisme est une "polycratie", une multitude de centres de pouvoir qui sont autant de petites féodalités, autour de services et d'agences multiples. A tous les niveaux surgissent des initiatives, des petits chefs. Cette polycratie a longtemps été considérée comme une pratique spontanée, non réfléchie. Mais en fait elle a été théorisée par des spécialistes de droit public et des organisations, comme Reinard Höhn, qui vont en faire une forme de darwinisme administratif consistant à placer sur le même champ de compétences une multiplicité d'institutions comme la police, l'armée, le parti, les ministères, plus les agences ad hoc, qui se multiplient sous le Troisième Reich. Ce qui engendre une concurrence absolument démentielle et une lutte quasi à mort entre ces différentes instances.

Un des enseignements que l'on peut tirer de "Libres d'obéir : le management, du nazisme à la RFA" est aussi une certaine hostilité nazie à l’Etat, l’état comme principe d’organisation de la société, qui s’opposerait à l’élan vital. Le Reich n'aurait donc jamais incarné un modèle d'Etat fort ?

En effet, l'idée-force du nazisme, c’est que l'état doit être pulvérisé. Hitler, dans ses discours, dit que l'état doit disparaître. Et Reinhard Höhn fait partie de ces gens qui vont penser, avec quarante ans d'avance, ce que dans les années 1970 on va appeler le New Public Management, c'est-à-dire le remplacement de l'Etat par des agences ad hoc, des agences qui ont un projet, un budget, une mission et qui ne sont là que pour cela. Alors que l'Etat, ça pose problème, c'est une structure qui est pérenne, qui demeure et qui coûte de l'argent. Comme on le voit dans le cas du service public, dont Radio France est un bon exemple. Les agences, c'est parfait : ce sont des institutions qui n'ont de durée d'existence que le temps que leur mission soit accomplie. La suite de l'entretien sur France Culture

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité