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5 novembre 2019

Le passeport, technologie de capture. John C. Torpey "The Invention of the Passport. Surveillance, Citizenship and the State"

passe Le passeport, censé favoriser la circulation des personnes, est selon John C. Torpey l’un des instruments par lesquels l’État moderne resserre son étreinte sur ses ressortissants. Processus que la guerre contre le terrorisme n’a fait qu’accentuer.

Alors que cela fait près de vingt ans qu’est paru The invention of passport, inaugurant l’ouverture d’un champ nouveau d’investigation historique consacré aux pratiques d’identification des personnes – champ qui s’est depuis largement développé, en France notamment avec les travaux de chercheurs comme Vincent Denis, Ilsen About ou Pierre Piazza –, l’ouvrage vient de faire l’objet d’une réédition augmentée d’un dernier chapitre qui nous porte jusqu’aux frontières de notre propre actualité. En croisant, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, les questions de la surveillance, de la citoyenneté et de l’État, le sociologue et historien américain John C. Torpey examine les conditions d’émergence de ce qui apparaît aujourd’hui comme l’outil indispensable de reconnaissance d’un individu en dehors du territoire dont il porte la nationalité : le passeport. Au-delà d’un simple outil de contrôle, le passeport agit comme acte de reconnaissance, par un État, de la qualité de ressortissant de l’individu à qui il est délivré. Ni strictement linéaire ni strictement comparatiste, l’analyse proposée tient le pari ambitieux de tirer de la singularité de contextes d’élaboration de pratiques de contrôle des mouvements de populations aussi différents que ceux de la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore des États-Unis, un ensemble de déclinaisons historiques du gouvernement des mobilités.

Capture et étreinte de l’appareil d’État

L’ouvrage éclaire les différentes manières par lesquelles l’État, et en l’occurrence les États occidentaux, a pu chercher et parvenir à « étreindre » (« to embrace ») les individus. Il est intéressant de noter que ce concept trouve ses origines dans le verbe allemand erfassen, qui renvoie tout autant à l’idée de saisir quelque chose, qu’à l’action de recenser, c’est-à-dire de saisir par l’enregistrement. J. Torpey substitue à l’image « masculine » et conquérante de l’État pénétrant (« penetrating state ») celle de l’État étreignant (« embracing state »), comme manière, par l’enregistrement, de rendre « lisible » (« legible ») une société (p. 14-15).

My metaphor of states ‘embracing’ their population much more akin to James Scott’s idea that states seek to render societies ‘legible’ and thus more readily available for governance.

[Au sens où je l’entends, la métaphore désignant « l’étreinte » de l’État sur les populations se rapproche de l’idée développée par James Scott sur la manière par laquelle les États rendent les sociétés ‘lisibles’ et ainsi plus vulnérables aux impératifs de la gouvernance].

Cette idée renvoie tout à fait à la notion deleuzienne de l’appareil d’État, défini par sa capacité de capture, de « surcodage ». L’étreinte, comme forme spécifique de gouvernement étatique du social, s’incarne par une emprise de type bureaucratique, par l’édification progressive d’un lien insécable entre exercice de la citoyenneté, identité et État.

L’idée d’étreinte de l’État, comme l’idée de capture, invitent à penser non pas simplement une manière de lire la société depuis une position de pure extériorité. En effet, l’appareil d’État se caractérise comme manière de reformuler, d’encoder une société qui, dans une dimension performative, participe à sa propre fabrication. Le passeport s’est ainsi imposé au fur et à mesure du temps comme une technologie d’encodage du rapport entre nationalité et identité, une technologie de fixation qui conditionne l’exercice individuel de la liberté d’aller et venir en dehors des frontières nationales par son intégration dans un réseau complexe de jeux de reconnaissances interétatiques. J. Torpey indique bien que le périmètre géographique choisi pour son étude part du postulat d’une suprématie, durant la période considérée, des États occidentaux dans la diffusion des pratiques d’identification administrative et dont le système de contrôle des passeports « représente le produit du renforcement progressif des appareils étatiques en Europe et aux États-Unis au cours des deux derniers siècles ». Voir l'utile analyse de Théophile Lavault, doctorant en philosophie au laboratoire de philosophie contemporaine PhiCo de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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