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4 novembre 2019

Filles de feu. "Vagabondes, voleuses, vicieuses. Adolescentes sous contrôle. De la Libération à la libération sexuelle"

vb On connaissait les garçons déviants, mais on ne savait rien des filles dont la justice des mineurs a voulu contrôler la sexualité. Le beau livre de Véronique Blanchard vient combler ce manque en suivant avec une grande sensibilité ces adolescentes des taudis aux centres d’observation.

L’archive judiciaire offre nécessairement un regard de haut. L’enfant et l’ouvrier, la femme et le peuple sont dos courbés sous des mots qui ne leur appartiennent pas. Comment se débarrasser de ces violents discours contre ces filles, de cette haine des femmes qui transpire de la justice des mineures ? Véronique Blanchard y parvient en plantant un décor préalable : la vie quotidienne et matérielle à Paris au sortir de la Seconde Guerre.

Les théories du milieu

Dans les tout premiers documentaires sociologiques produits par l’ORTF, sous la houlette du sociologue Paul-Henri Chombart de Lauwe, en 1958, nous sommes conduits dans la vie quotidienne des familles ouvrières : mineurs du Nord, ouvriers qualifiés en région parisienne, une famille d’instituteurs à Boulogne-Billancourt. Dans l’un d’entre eux, la caméra s’installe dans l’une des courées pavées de la rue du Moulin de la Pointe, dans le XIIIe arrondissement. Au centre de la courée, les toilettes communes, l’unique lieu d’aisance (quel joli mot) pour quinze familles, environ 60 personnes, enfants compris. Nous montons les escaliers branlants, entrons dans une pièce unique qui sert de cuisine, de chambre et de salon, avec pour tout équipement une cuisinière à charbon pour une famille ouvrière de quatre personnes. En face, un deux-pièces s’ouvre, un luxe : la pièce supplémentaire sert de dortoir pour les filles et les garçons de la maisonnée de cinq personnes. L’eau ? Broc en main, les enfants vont la chercher sur le palier. Pour dormir ? La maîtresse de maison nous montre comment on déplie le canapé le soir, après le repas – fait de semoule de blé – pour que toute la famille s’y allonge, tête-bêche et les pieds reposant sur des chaises.

C’est dans ce Paris pauvre que nous emmène Véronique Blanchard. Dans ces logements surpeuplés et insalubres entre les quartiers de Belleville et Ménilmontant, Bastille et Nation, Mouffetard et Glacière, Batignolles et Champerret, où logent des ouvriers pauvres, manœuvriers, sous-prolétaires et leur famille nombreuse dans les années 1950-1960. La lutte des places, ici, c’est tout d’abord la lutte pour avoir sa place dans l’unique lit. Armoire, buffet, lit double : ce sont là « toutes les propriétés » des ouvriers pauvres très précisément décrites par les enquêtes sociales du tribunal de Paris explorées par l’auteure. C’est au cœur de ces faubourgs populaires et pauvres que vivent la majorité des « mauvaises filles » découvertes dans ces centaines de dossiers de mineures dormant aux archives du tribunal pour enfants de la Seine. Pour fuir ces courées, les filles se réfugient, qui chez des copines, qui chez des jeunes ouvriers, qui dans des baraquements abandonnés, qui dans une cave, qui dans un bois. C’est dans ce mouvement qu’elles seront vite désignées comme voleuses, vicieuses et vagabondes. Parce que la justice des mineurs prétend « soulager la misère », parce qu’il lui faut des « raisons juridiques » pour prendre des mesures de protection : tout un langage s’invente. De nouvelles pathologies poussent comme des champignons. Un regard s’engendre sur le ventre des filles afin d’y trouver faiblesse, nous dit Véronique Blanchard. Voir la belle analyse de Jean-François Laé, sociologue

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