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Vivons nos temps
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21 novembre 2018

Le désarroi des Gilets Jaunes

gilet Ce désarroi affiché en nombre d’endroits du pays samedi dernier, n’est-il pas la conséquence de la clôture de l’avenir, ainsi que le pensait Anders ?

L’horizon actuel de la mondialisation techico-économique porte un sérieux coup aux espoirs de progrès au début du 21ème siècle. Comme le rappelle J.F. Simonin, il est devenu mensonger de promettre à la terre entière un style de vie occidental, c’est écologiquement infaisable. Avec du recul on s’aperçoit que le sens du progrès reposait sur un monde qui devait rester ouvert, indéterminé, infini dans le temps et dans l’espace. Nous sommes assaillis à présent par la multitude des manifestations de la finitude de notre condition terrestre. Cette finitude n’est plus seulement un souci individuel (avec le spectre de la mort de l’individu), elle devient un souci collectif, un souci d’envergure planétaire : la biosphère est en état de perturbation avancée du fait des activités humaines, et, à l’intérieur du frêle esquif de la civilisation, nous craignons d’être trop nombreux, bientôt en concurrence pour l’accès aux ressources finies de la biosphère, en état de surexcitation généralisée en raison de l’emploi vulgarisé de millions d’outils si puissants qu’ils pourraient se transformer massivement à la moindre occasion en armes de destruction.

Un sentiment de rétrécissement, de fermeture prend le pas sur le sentiment d’ouverture et de progrès qui nous animait depuis l’engagement du programme des Lumières, un sentiment de finitude et de saturation prend la pas sur les perspectives de conquêtes diverses sur fond d’infini.

Des milliards d’informations accessibles en temps réel procurent le sentiment paradoxal de rétrécir le monde, de rapetisser le globe, d’engendrer une situation de promiscuité généralisée, un risque d’accroissement des inégalités dans des proportions qui deviendront explosives.

L’Occident en perd sa capacité à imaginer quelque futur que ce soit. Si le progrès devient une idée morte, dans quelle direction s’orientera la recherche d’émancipation, que deviendra la figure d’un avenir meilleur, demande Peter Wagner (Sauver le progrès, 2017) ?

Le modèle occidental est éprouvé et son effondrement sur lui-même apparaît de plus en plus certain. La postmodernité ne sait plus si elle a un avenir.

Le problème est que l’on nous a volé l’avenir. Pour Daniel Innerarity, l’objectif politique contemporain consiste à retrouver de quoi rythmer la vie sociale sur la base d’un temps le plus unifié possible, à éviter la désynchronisation inhérente à notre contexte technico-économique numérisé, qui comprend quantité de nouveaux générateurs de temps : «  De nos jours, les conflits sont fondamentalement des guerres de temps. On pourrait avancer l’hypothèse qu’avec la perte de signification du territoire, l’espace a cédé au temps sa fonction centrale dans les conflits humains. La discrimination entre les sexes, les conflits d’intérêt, les exclusions sociales, les formes subtiles de pouvoir s’articulent davantage à une domination du temps qu’à une possession de l’espace. Il ne s’agit plus tant, à présent, de conquérir des pays exotiques que de contrôler les ressources temporelles des autres. La maîtrise de l’espace a cédé la place au contrôle du temps, la chrono-politique est devenue plus importante que la géostratégie. Les mécanismes d’exclusion sont moins aujourd’hui des occupations territoriales que des appropriations du temps des autres, sous la forme de l’accélération, de l’impatience, ou de l’absence de ponctualité. Voilà le nouvel axe des conflits sociaux : imposer le temps* »

Et Jean-François Simonin de continuer : « Il nous faut questionner cette manière de faire main base sur le futur. Car les conséquences directes et collatérales de nombre de nos choix stratégiques sont les conséquences néfastes de la priorité du présent vis-à-vis du futur. Il existe une certaine irresponsabilité organisée qui menace de devenir létale. J’ai usé d’un néologisme, le dumping temporel, pour caractériser cette stratégie qui consiste à hypothéquer, depuis le temps présent, le reste des temps à venir : cette stratégie tend à reporter sur le futur (le futur des clients à qui on propose des produits à risque, le futur des salariés à qui on demande flexibilité et précarité sans garantie d’employabilité à long terme, le futur de l’environnement…) ses principaux risques d’exploitation, maximisant ainsi sa valeur présente au détriment de perspectives d’avenir appauvries. Le problème est qu’il s’agit d’une stratégie hautement rémunératrice : en effet, le futur n’a pas d’avocat, vous pouvez le saccager en toute impunité. Ce qui veut dire que nous consommons le futur des autres, que nous les exproprions de leur avenir et que nous considérons l’avenir de nos descendants comme une ressource gratuite et immédiatement disponible pour nous ».

A quand une reprise en mains de notre avenir ?

Sources

*Daniel Inneraty, Le futur et ses ennemis. De la confiscation de l’avenir à l’espérance politique

Jean-François Simonin, La tyrannie du court terme, quels futurs possibles à l’heure de l’anthropocène ? 2018

Harmut Rosa, Accélération et aliénation

Peter Wagner, Sauver le progès, 2017

Marcel Gauchet, Le nouveau monde

François Hartog, Régimes d’historicité. Présentéisme et expériences du temps, 2003. Le terme de « présentéisme » a été proposé par Hartog pour caractériser cette nouvelle attitude des sociétés contemporaines à donner une importance croissante au présent, au détriment du passé et surtout de l’avenir.

Gûnther Anders, L’obsolescence de l’homme

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