Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vivons nos temps
Vivons nos temps
Publicité
Derniers commentaires
Vivons nos temps
Archives
Visiteurs
Depuis la création 301 146
25 juillet 2013

Le bluff éthique, de Frédéric Schiffter

bluffCréditées de pouvoir infléchir le cours d’une vie, voire de changer la personnalité d’un individu sur la foi de raisonnements, de conseils ou de directives pratiques, les considérations éthiques passent mieux que les lourdes considérations métaphysiques auprès d’une opinion versée dans la philosophie « extrascolaire ». Or, telle est, justement, la cécité de cette opinion éclairée que de tenir l’éthique pour un discours plus accessible que la métaphysique. Ayant coutume d’appeler la métaphysique un bla-bla, soit une rhétorique obscure forgée pour évoquer le réel tel qu’il devrait être, substantiel et sensé, et non pour l’accepter et le décrire tel qu’il est vécu, insignifiant, je ne saurai qualifier l’éthique d’un autre terme, elle dont la vocation est, pareillement, de dénoncer les humains tels qu’ils sont, insensés, afin de faire valoir une Humanité idéale ou meilleure. Traduisant un rejet indigné du réel, métaphysique et éthique relèvent de ce que Clément Rosset nomme le chi-chi, écrit-il dans Le Réel et son double, découle de l’inquiétude qu’éprouvent les humains à l’idée cruelle qu’en acceptant d’être ce qu’ils sont, ils doivent se résigner du même coup, à n’être que cela : c'est-à-dire, d’abord, très peu ; puis, assez vite, plus rien. Autant que le bla-bla métaphysique, le bla-bla éthique leur offre des notions vagues, sibyllines, ronflantes, lénifiantes, et, parfois, suffisamment bien tournées pour les bluffer, les impressionner en leur laissant le sentiment d’entrevoir quelque chose de fondamental quant à leur prétendu être. C’est dire combien, pour croire à n’importe quel boniment leur promettant une humanité digne, heureuse, authentique, à laquelle, moyennant un « travail » sur eux-mêmes, ils auraient le droit et le devoir d’accéder, leur ressentiment narcissique est à son comble, combien ils sentent que leur vie, du début à la fin, se déroule comme une suite de désirs contrariés, d’ambitions revues à la baisse, de joies vite périmées, de frustrations, de vexations. Que des humains ne prennent pas ombrage qu’on leur fourgue du sens, du bonheur, de l’humanité et qu’on les tienne, à ce titre, pour des demi-portions d’humains ; qu’ils se montrent demandeurs et friands de ce panpan-cucul infligé à leur moi complexé ; bref, qu’ils ne s’avise pas que l’éthique, selon une vieille méthode d’abrutissement des foules, les infériorise et les flatte à la fois, en dit long, aussi, sur leur vertueuse niaiserie que je nomme le gnangnan.

Dans son ouvrage Le bluff éthique, Frédéric Schiffter, se référant à Socrate, nous alerte sur une forme dangereuse de manipulation mentale opérée sous le vocable éthique. Un ouvrage intelligent, clair, qui revisite l’histoire des idées pour arriver à ce constant : qu’entre des pensées qui élucident, sans plus, notre condition tragique, et des discours qui prétendent, sans rire, nous apprendre à vivre, il y a le même rapport qu’entre des vérités et du bluff.

Le bluff éthique, de Frédéric Schiffter, éditions Flammarion, sept. 2008

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité