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21 février 2012

Contre la pensée unique

contrelapenseeuniqueJ'écoutais récemment, sur la station France-Musique, l'interview de Claude Hagège, linguiste éminent, universitaire de renom, professeur honoraire au Collège de France.

Celui qui fut d’abord africaniste avant de s’intéresser aux langues amérindiennes – sioux, algonquin – d’étudier le mandarin, l’arabe, l’hébreu, et de se frotter sur le terrain à une bonne cinquantaine de langues et de dialectes divers, dont il a pénétré l’âme autant que le sens., vient de sortir un nouvel opus Contre la pensée unique.

Claude Hagège, c’est aussi une manière. Une gestuelle, un regard, un débit singulier, précis, nerveux, au service d’un raisonnement imparable. L’érudition maniée comme une arme cinglante.

Car il est question de combat dans la croisade qu’il a engagée, il y a plusieurs lustres déjà, pour la diversité des langues.

Claude Hagège entend ferrailler Contre la pensée unique, celle qu’impose au monde entier l’anglo-américain, support d’un mode de pensée en même temps que « vecteur du néolibéralisme ». En face, coup de griffe assumé, «la lâcheté de la France d’aujourd’hui, où l’on se songe qu’à s’américaniser ».

L’universitaire en appelle donc à la résistance. « Il n’existe aucune raison de prendre son parti du prétendu déclin », assène-t-il en introduction de son dernier ouvrage. Le linguiste fourbit donc ses arguments. Et joue d’abord le jeu d’un bref retour sur enfance.

« Je ne sais toujours pas pourquoi, je demandais des atlas plutôt que des jouets. Et je n’avais qu’une question à poser aux autres, "comment dis-tu ça dans ta langue ?"» La vocation est donc précoce.

Naître à Carthage, alors protectorat français – nous sommes en 1936 – pourrait fournir une explication partielle. La Tunisie est terre de rencontres, d’échanges, Claude Hagège réfute pourtant l’argument. « À Tunis, on entendait effectivement beaucoup de langues, le français, l’arabe tunisien mais aussi l’arabe littéraire, et, pour la partie juive de ma famille, l’hébreu. Il y avait également une grosse communauté de Russes blancs, des Allemands. J’aurais pu être plus babélisé encore. Mais ça, c’est une circonstance, pas une cause, puisque mes frères et sœurs n’ont pas été touchés. »

Une autre passion résonne encore dans ces années fondatrices, celle de la musique, qui pour le coup, occupe une place majeure dans la culture familiale.

« Brahms, Mendelssohn, j’ai grandi là-dedans. J’ai appris le violon. mais je ne suis pas devenu chef d’orchestre comme il en a été un temps question. Le tropisme des langues l’a emporté. Je joue cependant toujours, avec des amis, dans un quatuor à cordes… »

L’appartement de Claude Hagège en témoigne, peuplé de partitions et d’instruments autant que de livres. Suivra la carrière de chercheur et d’enseignant que l’on sait, riche, brillante, échevelée. L’émotion y double sans cesse la rigueur scientifique. « À travers les langues, on touche aux hommes et à leur diversité. » Étonnez-vous que Claude Hagège ait récemment commis un ardent Dictionnaire amoureux des langues.

« J’ai commencé à écrire des livres grand public, quand je me suis dit "la linguistique est une discipline très politique".

» L’affaire sort soudain des cercles savants pour poser d’autres enjeux. Posséder les mots, c’est posséder la pensée. À partir de ce postulat, la guerre des langues devient féroce.

Dans le collimateur, l’anglais, d’abord débarqué en même temps que les plans de reconstruction, après la Seconde Guerre mondiale.

Claude Hagège décrit là un véritable façonnement des esprits par la langue, le cheval de Troie étant le divertissement, la musique, « Hollywood et tout ce qui en découle ». Puis, avec les années quatre-vingt-dix, l’aura des États-Unis pâlit, le monde réagit.

Mais voici la mondialisation, les technologies nouvelles et leur vocabulaire anglicisé, « la question n’a jamais été aussi pressante ». Claude Hagège remonte donc au front. Dans son nouveau développement, il explore le marché des brevets scientifiques, où l’anglais se fait rapace, pointe l’Europe et « la promotion à Bruxelles de tout ce qui se dit et s’écrit en anglais », plaide pour la réhabilitation du français « comme un moyen de diversité, avec d’autres langues, le portugais par exemple, à travers le Brésil, ou l’arabe, bien qu’il soit parfois difficile de le désolidariser dans les esprits de l’islamisme », évoque les plus de deux cents instituts Confucius implantés par la Chine à travers le monde.

La démonstration est limpide, argumentée, assez saisissante. Et Claude Hagège, chantre du respect des moindres particularismes, prend un temps quand la conversation s’égare et revient au terreau d’origine. « Les juifs ont toujours eu un côté apatride. Barrès par exemple était attaché à un lieu, au génie du lieu où on est né. Je respecte beaucoup cela, mais ça m’est étranger. Je suis très juif sur ce plan-là. Il y a Carthage tout de même, mais comme un lieu symbolique. »

hagegeContre la pensée unique, par Claude Hagège (Odile Jacob).

 

par Michel GENSON

pour en savoir plus



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