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28 février 2021

DYSFONCTIONNER

art 1

« Mal barrée pour l’institution, mon meilleur ami devient l’arrêt-maladie. » (paru dans lundimatin#276, le 22 février 2021)

Il est ici question de techniques, de voix intérieures, de stratégies intimes de résistance, de régime d’absurdité imposé au travail, de l’humain qui persiste... et espère faire quand même rire.

Ça y’est, ça recommence. Ça a l’air grave. Diagnostiquée dysfonctionnaire, on m’écrira en Arial taille 12 désormais. En attendant que tout rentre dans l’Ordre, une inquiétude me prend. Et m’oblige à faire les comptes de mes rechutes…

En passant Le Concours, on s’était pourtant bien assuré que tous les vis étaient serrés. La mécanique ronronnait bien. J’avais calligraphié des « progressions » et des « tableaux de compétences ». J’avais bien répondu à la maîtresse, euh… à l’inspectrice. J’avais caché mes tatouages. J’avais bien compris ma leçon : je n’aimais pas l’Islam, j’aimais La République. Attention au complotisme. Tout était prêt pour que j’enseigne sans me poser de questions.

Le premier poste est pris et avec, la première confrontation brutale à l’organisation de l’école concentrationnaire. Je suis tétanisée. Je découvre que la salle des profs est de droite. Ou plutôt je découvre qu’en fuyant l’establishment étriqué du milieu parental, j’ai cru me réaliser dans un monde de la culture et du « progressisme », et que cette croyance même est de droite. Je me découvre de droite, d’une naïveté de droite, d’un pédagogisme de droite, d’un conformisme de droite. Et tout ça a l’air de s’appeler la gauche.

Pour faire face je me construis une image toute faite de déni : des cheveux de déni, des jambes de déni, une bouche de déni, une langue surtout pleine de déni, qui prophétise ce qu’elle veut voir advenir, qui ne fait par la différence entre ce qu’elle dit et ce qui est… elle parle beaucoup cette langue : organisation collective, respect du droit du travail, pédagogie nouvelle. Elle parle beaucoup toute seule et je ne peux pas la suivre. Elle s’emballe même, et je suis bien embêtée de devoir correspondre à son intransigeance. Plutôt que d’admettre le constat révoltant de l’école-caserne, je me plie à des devoirs incongrus qui n’ont aucune chance de réussir pris en même temps : un conseil d’élèves hebdomadaire, un discours d’une froide radicalité avec tous les collègues, un plaisir malin à me faire la hiérarchie. Ça tourne mal. Ça grince, ça hurle, ça campe des positions. Évidemment tout se raidit. Comment ? Le métier n’est pas la lutte ? La lutte n’est pas le métier ? Je digère (mal) mon incompréhension totale du lieu où j’ai débarqué. On finit par me détester. Et je vois dans cette ostracisation le signe que je suis dans le Vrai. Un peu prophète, surtout barrée. Mal barrée.

Serveler, v.trans.
1 - Répandre la parole de la hiérarchie en lieu et place d’une pratique singulière de la pédagogie.
2 - Croire et faire croire en l’émancipation par les techniques numériques et le management horizontal.
3 (figuré) Se tourner désespérément dans le sens de chaque réforme néolibérale produite par l’administration de l’école-caserne.
Je servèle tu servèles il/elle servèle nous servelons vous servelez elles/ils servellent
ex : « Nous avons bien servelé aujourd’hui. »
Ainsi, le servelage s’apparente à bien des égards à un décervelage. On pourrait même affirmer que servelage et cervelage sont des processus allant en sens inverse. On fait un C avec ses doigts pour bien les différencier. Il ne semble pas exister de point médian entre les deux opérations. Remarque importante : le servelage est toujours volontaire et suppose un agent déjà bien avancé sur le chemin du larbinage (voir larbinerie).

Mal barrée pour l’institution, mon meilleur ami devient l’arrêt-maladie. Arrêt-maladie, je te bénis. Je t’use jusqu’à la moelle, je suce ton suc de repos et de solitude. J’adhère sans réserve à ton amour inconditionnel, cet espace de recul que tu m’offres jour après jour et pour des siècles et des siècles. Amen. Forte de ce nouveau super-pouvoir, j’accrois le vide entre moi et les autres, ceux qui ne comprennent rien. Un jour, ils verront, un jour ils comprendront. Les derniers seront les premiers. Mais quand ? Combien de temps un corps peut-il survivre dans une séparation totale ? Combien de temps un corps met-il à se désagréger de la corrosion de l’hostilité qu’il provoque ? Je fuis les fêtes de profs comme la peste. J’entends des voix désormais. Pas les voix soutenantes des divinités païennes ou des ancêtres qu’on se crée pour survivre. Là, ce sont plutôt les voix réelles qui rebondissent dans les couloirs et les échos sans fin des reproches imaginés (puisqu’on ne me dit plus rien) 

elleprovoqueleconflitpartoutoùellepassedetoutesfaçonsalorselledemanderienelleabesoinderienellesecroitsupérieureouquoinonmaisellevapass’excuserpoursessortiesincontrôlablesc’estimpossibledetravailleravecelleelleamêmepasdeplandecoursincapablefumistefainéanteperverse

Ces voix qui venaient remplacer les autres (beaucoup plus belles) que je traînais avec moi ont fini par se bousculer. Comme le fou du village, je me promenais pieds nus en proclamant que le savoir pouvait être vivant. Fatal ! On m’a rien dit directement, oh non, on a simplement fait jouer la pesanteur. Coupure unilatérale des transferts d’énergie. C’est la force du métier. Les inadaptés se taisent d’eux-mêmes, un peu comme un mélange d’eau et d’huile qui finit toujours par se séparer. Alors comme l’huile, je me suis séparée. Je suis tombée au fond de la cuve.

Quand ça passe mes oreilles
ça se tord ça change de sens ça se détériore
je ne comprends jamais ce qu’il faudrait comprendre
y a comme un truc qui déconne au plafond
un court-circuit dans la maison
un trou noir bien suintant qui fait tout déconner
un bizarre bruit de vaisselle et de cheminée mal ramonée
ils y comprennent rien
que ce qui se passe dans leur tête
ait tant de mal à s’imprimer dans la mienne
que mon corps fasse toujours le contraire de ce que leur bouche me dit
C’est pourtant simple !
j’ai beau répéter le bon sens
le bon sens
le bon sens
le sens bon
ça sent bon
le non sens
vous voyez ?
y a rien à faire
ça donne autre chose
je ne comprends rien au sens commun
qui est pourtant si simple
à portée de main !
alors pour les tenanciers de l’Auberge de la Logique Immuable
je suis une vieille machine à bricoler
un truc instable à réparer... La suite de ce texte puissant

 

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