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10 février 2021

« Le travail numérisé entraîne un mode de vie aliénant et antiécologique », entretien avec Fanny Lederlin

ube

« Tout un nouveau prolétariat se constitue là, mais sans classe, privé de soutien et de perspectives d’émancipation », analyse Fanny Lederlin, autrice des « Dépossédés de l’open space ». Ce « néotravail », soumis aux outils numériques et régi par des techniques de management déshumanisantes, est aliénant et antiécologique.

Fanny Lederlin a travaillé une quinzaine d’années dans la communication, avant de reprendre des études de philosophie. Les Dépossédés de l’open space. Une critique écologique du travail est son premier livre publié. Doctorante à l’Université de Paris, elle travaille actuellement sur la pensée critique.


Reporterre — Pourquoi avoir mené cette réflexion sur le travail ?
Fanny Ederlin — D’abord, parce que j’ai été une travailleuse… Avant de reprendre des études de philosophie, j’ai travaillé une quinzaine d’années dans la communication. Sur la fin, je ressentais un gros malaise. Il était lié – je le sais aujourd’hui – à la question du langage. Les communicants, dont je faisais partie, sont les premiers responsables du façonnage de cette novlangue dans laquelle nous baignons désormais, du discours des entreprises au discours politique. Une langue à base de jargon, d’anglicismes, d’acronymes, de bullshits [enfumage], qui crée les conditions d’un management délétère.

En 2019, le procès France Télécom — que j’ai suivi de près — en a révélé, à mon avis, toute la perversité. Les cadres inculpés, qui devaient se défendre d’avoir poussé au suicide un certain nombre d’employés, n’utilisaient pas leurs prénoms mais disaient : « J’étais son N+5 », ou « Il était mon N-2 ». Ça peut paraître anodin, juste une manière de mentionner un échelon hiérarchique, mais, en fait, c’est une façon de parler des gens comme de numéros, et donc de les déshumaniser. On voit bien l’enjeu : si le N-5 va mal, c’est moins grave que si « Thierry, 32 ans, deux enfants » va mal…

Cette corruption du langage est visible aussi dans la multiplication des euphémismes, qui déréalisent le rapport au travail : les ouvriers (associés au concept politique de classe) sont devenus des « opérateurs », des « conducteurs d’automatismes » ; les plans de licenciement des « plans de sauvegarde de l’emploi », etc.

La déshumanisation-dépossession est au cœur de la transformation actuelle du travail — que vous appelez le « néotravail », un pendant au néolibéralisme. Elle s’accélère depuis les années 2000, avec l’essor des technologies numériques et de l’intelligence artificielle…
On peut repérer plusieurs formes de dépossession. D’abord celle qui continue, à travers les outils numériques, à s’imposer par la logique du chiffre. Si, aujourd’hui, beaucoup de travailleurs ne pointent plus, ils sont soumis aux grilles d’évaluation, aux tableaux Excel qui les formatent pour qu’ils considèrent et pratiquent leur travail au travers de critères strictement quantitatifs. Cette logique peut aboutir à un phénomène que le chercheur Antonio Casilli appelle la tâcheronnisation : le travail n’est alors plus abordé sous l’angle d’une mission, mais d’une « tâche » conçue en amont par un manager, qui a réfléchi et s’est dit : « Bon, ben voilà, pour nettoyer une chambre, il faut sept minutes, et pas plus ! »

Cette logique culmine au sein des plates-formes numériques, comme Deliveroo, Amazon, Uber, mais étend aussi sa logique à tous les corps de métiers. Même dans les métiers du soin. Un comble ! Dans un Ephad, par exemple, les petits gestes d’attention, prendre la main d’une personne âgée, lui couper les ongles, n’ont plus leur place. Toute humanité devient impossible, dans la mesure où le travailleur (la « ressource humaine ») est privé de la maîtrise de son travail – et donc de la possibilité de l’envisager qualitativement et non seulement quantitativement. Voir l'entretien intégral recueilli par Reporterre

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