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4 mars 2020

L’université des super-riches. Daniel Markovits "The Meritocracy Trap, How America’s Foundational Myth Feeds Inequality"

books Les plus riches aux États-Unis ne sont pas seulement ceux qui détiennent le capital. Ce sont aussi ceux qui reçoivent de très fortes rémunérations et qui sont formés dans des universités réservées aux plus fortunés, dotées de moyens toujours plus considérables.

Dans cet ouvrage, Daniel Markovits analyse les effets sur la société américaine de la méritocratie comme critère de classement des compétences et la qualité de vie des gagnants de la méritocratie – que l’auteur appelle méritocrates. L’apport principal de cet ouvrage est de montrer que la montée des inégalités n’est pas le résultat d’une captation de la valeur par des capitalistes, c’est-à-dire les propriétaires des moyens de production, mais plutôt d’une captation à l’intérieur même du travail, par une « classe » de travailleurs, les gagnants de la méritocratie. Il s’étend aussi sur cette nouvelle page de l’histoire de l’université qui débute dans les années 1950-1960, où l’enseignement supérieur se transforme en « sélectionneur » et gardien de la nouvelle super élite. Nous discuterons les forces et les faiblesses de cette analyse.

Daniel Markovits est professeur à la Yale Law School. Il a obtenu un doctorat en philosophie à Oxford, une maîtrise en économétrie à la London School of Economics et un B.A.à Yale. Il connaît bien le système méritocratique et estime que les élites actuelles ont accaparé une trop grande part des richesses. Si les choses continuent ainsi, s’inquiète-t-il, les électeurs pourraient « rejeter la méritocratie en bloc et ériger quelque chose de beaucoup plus sombre à sa place » (p. 40, « A very different coalition of manipulative oligarchs and resentful populists now threatens to repudiate meritocracy wholesale and to erect something considerably darker in its stead »). Sa réflexion reflète un double discours qui relève d’une part d’un constat et d’autre part d’une analyse normative sur les conséquences possibles d’un tel système. La lecture proposée des comportements des élites (obsession des titres de la Ivy League, bourreaux de travail hyper-compétitifs, niveau de richesse exceptionnelle) est donc particulièrement intéressante.

La recherche d’une autre cause des inégalités : une élite d’un genre nouveau

La critique que porte D. Markovits n’est pas une critique des effets de reproduction sociale qu’engendre la méritocratie, à la suite des travaux de Bourdieu ou de Passeron par exemple. Elle ne porte pas non plus une critique du principe même de la méritocratie pour promouvoir un modèle égalitariste ou au contraire aristocratique. L’auteur identifie plutôt un système particulier d’inégalités qui rend toute la société, les exploités comme les gagnants de la méritocratie, misérables.

Plus fondamentalement, pour D. Markovits, les inégalités dont souffrent nos sociétés actuellement sont le produit du système méritocratique lui-même. En cela, il se démarque d’autres analyses portées notamment par Thomas Piketty. Les gagnants du système travaillent ainsi significativement plus que la classe moyenne. L’auteur a ainsi calculé que les trois quarts des revenus de cette élite proviennent de leur travail et non de leur capital : « l’accroissement des inégalités économiques (…) s’explique non pas par un transfert des revenus du travail vers le capital, mais bien plutôt du transfert du revenu du travail de la classe moyenne vers la classe superordonnée » (p. 64 : « Rising economic inequality, that is, principally comes not from a shift of income away from labor and toward capital but rather from a shift of income away from middle-class labor and toward superordinate labor »). Ce néologisme est construit par l’auteur comme antonyme de subordonné.

Le conflit du capitalisme moderne n’est donc pas entre travailleurs et possesseurs du capital mais entre différentes classes de travailleurs, et plus précisément entre ceux qui ont eu accès aux écoles d’élite et les autres. Autrement dit, le moteur des disparités de richesses n’est pas le fait d’élites « oisives » qui s’enrichissent en exploitant le travail des autres. Selon l’auteur, les personnes les plus riches le sont devenues principalement en « vendant leur propre travail » puisqu’il observe que « huit des dix plus riches Américains aujourd’hui doivent leur fortune non à l’héritage ou au rendement d’un capital hérité mais bien plutôt au revenu de leur travail entrepreneurial ou managérial » (p. 221 : « Eight of the ten richest Americans today owe their wealth not to inheritance or to returns on inherited capital but rather to compensation earned through entrepreneurial or managerial labor »). Ces riches américains seraient des travailleurs et non des capitalistes. L’opposition serait donc entre l’élite méritocratique et les autres travailleurs, entre ceux qui réussissent à entrer à Yale et ceux qui ne le peuvent pas. Voir l'analyse de Bruno Deffains, professeur de Droit et d’Économie à l’Université Paris II Panthéon-Assas, président du Pôle numérique du Club des juristes et directeur du Centre de Recherches en Economie et Droit

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