Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vivons nos temps
Vivons nos temps
Publicité
Derniers commentaires
Vivons nos temps
Archives
Visiteurs
Depuis la création 301 044
6 août 2019

En chair et en Eros. Colas Duflo "Philosophie des pornographes. Les ambitions philosophiques du roman libertin"

eros L’obscénité des romans libertins les a longtemps discrédités. À tort : les écrits pornographiques des Lumières diffusent, librement et joyeusement, des thèses philosophiques et mettent en question les normes sociales de l’Ancien Régime.

Dans son nouvel opus, Colas Duflo prolonge le remarquable tracé des pérégrinations de Sophie en romancie (Les Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman au dix-huitième siècle, CNRS Éditions, 2013) par l’exploration du versant libertin. Pourquoi diable Sophie va-t-elle chercher aventure chez les pornographes ? Que la littérature philosophe, on l’admet aisément concernant Rousseau, Diderot, Voltaire mais aussi Prévost ou Marivaux. De plus en plus nombreux travaux interdisciplinaires, menés notamment par l’équipe « Litt&Phi » de l’Université Paris Nanterre, mettent en lumière une « philosophie narrative » en particulier dans cet âge d’or de la confusion des genres qu’est le XVIIIe siècle. Ouvrages érotiques et livres philosophiques interdits flirtent sur les mêmes listes des libraires et sous les mêmes manteaux. Or, malgré ce réseau clandestin commun de diffusion, la prétention des pornographes à philosopher prête encore à sourire. Leur obscénité discrédite ce qui ne serait qu’une philosophie de foutoir.

Philosophie de foutoir

Et pourtant, les « romans cochons » pensent ! C’est ce que démontre Colas Duflo dans un exposé convaincant et riche d’exemples. Qualifié indifféremment d’« érotique », de « pornographique », de « libertin » ou de « licencieux » le corpus hétéroclite mobilisé est unifié par l’alternance entre les ébats sexuels et les débats textuels. Les langues se délient et les discours prosélytes fusent le temps du repos des corps. Les pornographes font ainsi œuvre de propagande des « Lumières hétérodoxes ». Ils diffusent et inondent d’images frappantes des thèses librement inspirées du spinozisme, de l’épicurisme ou de la philosophie clandestine. Pour marginales qu’elles semblent à côté des ouvrages officiels comme l’Encyclopédie, ces thèses « hétérodoxes » n’en revêtent pas moins une importance considérable dans l’histoire de la pensée. Les récits libertins donnent littérairement chair à la sécularisation de la morale, au matérialisme hédoniste, au rôle de l’expérience, à l’assimilation de Dieu et de la nature... Partisan d’une réhabilitation de l’écriture obscène des Lumières, Colas Duflo refuse que son emballage aguicheur fasse obstacle à ce qu’elle soit prise au sérieux philosophiquement, considérant qu’il est temps d’ouvrir les yeux sur ce qui fut longtemps un « point largement aveugle » (p. 11) tant pour les historiens que pour les spécialistes de la littérature des Lumières. Loin de n’offrir que d’anecdotiques digressions philosophiques, ces livres sulfureux entreprennent d’ébranler en profondeur les corps et les esprits dans un même mouvement. Éros philosophe et la philosophie s’érotise selon un cercle, vertueux pour les uns, vicieux pour les autres.

Voir l'analyse d'Élise Sultan-Villet, enseignante et docteure en Philosophie, travaille sur la philosophie des romans libertins du XVIIIe siècle. L’ouvrage inspiré de sa thèse, Les romans libertins : la philosophie des sens dessus dessous, sera prochainement publié aux éditions Honoré Champion.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité