Une belle ironie quand on sait que la bière est d’abord une histoire de brasseuses, comme le rappelle la spécialiste Elisabeth Pierre: «Initialement, la fabrication de la bière, liée au pain, était réservée aux femmes. A partir du XIIIe siècle, des moines se sont mis à brasser, mais l’on trouve une majorité de femmes parmi les grandes figures historiques, telle la religieuse Hildegarde de Bingen, botaniste et première brasseuse à avoir consigné l’importance du houblon dans l’élaboration de la bière, au XIIe siècle. En Angleterre, le savoir-faire était également féminin avec les alewives, à l’origine des premiers pubs. Mais la révolution industrielle a sorti la bière de son univers rural et domestique, avant que le marketing n’en fasse une boisson d’hommes quand les femmes n’ont pourtant jamais cessé de brasser.»
La bière, cette boisson où le sexisme est roi
Après des décennies de marketing genré, les amatrices de bière, tout comme les professionnelles de la filière, subissent nombre de clichés. Mais la donne change grâce à une nouvelle génération décidée à briser la norme.
La scène se passe lors d’une pendaison de crémaillère. La maîtresse de maison fait visiter les lieux à ses copines en les entraînant rapidement vers son immense pièce dressing. Devant tant de chaussures si bien présentées, les filles se mettent à hurler d’excitation, au bord de l’hystérie. Dans la pièce voisine, des hommes exultent à leur tour. Ce sont les amis du maître de maison qui viennent de découvrir une pièce réfrigérée remplie de bières fraîches… Ce spot pour Heineken (ci-dessous) a 10 ans et fait partie des centaines de pubs qui, durant des décennies, se sont acharnées à présenter la bière comme «une boisson d’hommes», et les femmes comme incapables d’en apprécier la saveur.
«Trop amère, pas assez légère pour elles… les clichés sur la bière et les femmes sont légion, soupire Carol-Ann Cailly, sommelière et blogueuse spécialiste de la bière artisanale, et fondatrice du site Brewjob. J’ai cherché des études scientifiques justifiant le fait que les femmes préféreraient les boissons sucrées, mais bien sûr, ça n’existe pas. C’est seulement une norme.»
Et si la bière, encore plus que le foot, représentait un cas d’école du sexisme? L’été dernier encore, la marque sud-africaine Vale lançait deux mousses baptisées «Blonde facile» et «Brune légère», avant de se rétracter devant le tollé sur la Toile. Mais le marché regorge toujours de marques douteuses telles la «Levrette», la «Turlutte», ou encore la «Cyprine», une bière «à base d’extraits de sécrétions vaginales», nous assure-t-on. A force, les stéréotypes collent au fond du bock: selon une étude de l’Université Stanford, les consommateurs sont moins enclins à acheter une bière artisanale s’ils pensent qu’elle a été brassée par une femme, car ils l’imaginent moins bonne. Et selon une étude de Dea Latis, collectif de femmes britanniques œuvrant dans la filière brassicole, les femmes boivent de plus en plus de bière… mais plutôt à la maison, ou entre elles, par peur du jugement à l’extérieur.