L’Hermitage éclaire les ombres
La place de l’ombre dans l’histoire de la peinture est centrale, qu’elle touche à la technique, à la philosophie ou à la figuration. Le musée lausannois l’explore à travers une exposition thématique mais jamais didactique.
Ombres appartient à une famille, celle des grandes expositions collectives qui retracent l’histoire de l’art occidental à partir d’une entrée thématique. Celle-ci, pour sembler arbitraire et peu originale, n’en permet pas moins de déployer un ensemble de questionnements fondamentaux. L’exposition Fenêtres, organisée à l’Hermitage en 2013, appartenait à cette famille. Et dans le même ordre d’idées, on peut citer Préhistoire, en ce moment au Centre Pompidou, à Paris. A l’inverse, l’exposition Silences, visible cet été au Musée Rath de Genève, est beaucoup plus personnelle et n’a pas vocation à épuiser son sujet.
Depuis l’Antiquité, il se raconte que l’ombre est au cœur de l’invention de la peinture, du dessin, et même du modelage en bas-relief. Ainsi Pline l’Ancien explique-t-il qu’une jeune femme corinthienne dessina les contours de l’ombre de son bien-aimé qui se projetait sur un mur, pour en garder une image avant qu’ils ne soient séparés.» Cette courte narration, que l’on doit à Sylvie Wuhrmann et Aurélie Couvreur, commissaires de l’exposition, dans le texte d’introduction du catalogue, inscrit d’emblée le thème de l’exposition dans une série de mythes fondateurs de l’histoire de l’art occidental.
Il faudra lui ajouter l’allégorie de la caverne, évoquée dans l’exposition par La Grotte de Platon (1604), une gravure de Jan Saerendam qui oppose dans sa composition la masse des ignorants, captifs des reflets qu’ils voient sur les parois de la caverne, au groupe des savants ayant accès à la vérité. L’importance du couple antithétique formé par l’ombre et la lumière dans l’histoire des idées révèle que le thème choisi ne renvoie pas qu’à une simple histoire du regard. Ce sont à des questions de figuration, mais aussi à des problèmes conceptuels, philosophiques ou techniques qu’une investigation poussée sur l’ombre nous renvoie. En savoir plus
Illustration : oeuvre de Joaquín Sorolla y Bastida