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28 mai 2014

Europe, la souveraineté confisquée

Ce n’est pas un hasard si le nombre des « déserteurs des urnes », qui sont restés chez eux ou ont voté blanc (véritable « exil intérieur »), n’a pas décru, ou si ces citoyens ont voté pour des partis explicitement antidémocratiques.

Je rejoins totalement la pensée de Paolo Flores d’Arcais (philosophe politique italien) : la désaffection envers la classe politique dans son ensemble, envers ceux qui font de la politique une profession et une carrière, à droite ou à « gauche », croît de manière constante. Et si en Allemagne ou au Royaume Uni elle n’a pas encore atteint le niveau de mépris et de dégoût qu’éprouvent les citoyens italiens, espagnols ou grecs (et maintenant une large partie d’électeurs français), ce serait de l’aveuglement de ne pas comprendre que l’insatisfaction envers les instances représentatives est à présent « le » problème auquel l’Occident tout entier, et en premier lieu l’Europe, doit faire face, si elle ne veut pas précipiter dans un Weimar continental, voire global.

Ainsi donc, pour que naissent des institutions européennes effectivement démocratiques, il est d’abord nécessaire que s’affirment et s’imposent des politiques européennes qui s’ « implémentent » dans la vie quotidienne, dans les vieux idéaux de « liberté, égalité, fraternité », devise dans laquelle chaque valeur précise le sens de la précédente. Tout le contraire d’une Europe libérale.

Dans certains pays on débat sur un salaire minimum. Nous avons besoin en Europe d’une législation sociale unifiée qui fixe pour tous ses membres le même salaire minimum, les mêmes droits syndicaux, les mêmes contraintes environnementales, de manière à rendre impossible le chantage des entrepreneurs, qui transfèrent la production là où le coût du travail est moindre, c’est-à-dire où l’exploitation des travailleurs est plus forte. Il ne peut y avoir d’Europe tant que les différences de droits, de protection sociale, de salaire entre travailleurs, font de certains pays ou de régions, une source intarissable de la célèbre « armée de réserve de travailleurs », qui permet d’abaisser les revenus vers le seuil minimum de subsistance.

Il faut y ajouter aussi des politiques européennes qui prennent de front, avec une énergie et une intransigeance inouïes (et avec pour objectif de l’annihiler), l’intrication cancéreuse entre évasion fiscale, recyclage, spéculation financière, qui célèbre au contraire son triomphe sur les marchés londoniens (ce qui s’accompagne de la mutation anthropologique de quartiers entiers, sur le modèle des émirs et des oligarques, ce qui représente une gifle pour l’idéal démocratique). Le crime organisé n’est plus un problème italien, les mafias, vieilles et nouvelles, qu’elles viennent de Sicile, de Calabre, de Chine, de Russie ou d’ex-Yougoslavie, colonisent par des alliances kaléidoscopiques le continent tout entier, et étendent de plus en plus la dimension « légale » de leurs activités. Désormais entrepreneurs comme les autres dans l’Europe des financiers.

Mettre fin à la liberté de la finance, la contraindre par des liens encore plus étroits que ceux que ont été défaits, malheureusement, par un président américain de « gauche ».

Et enfin, le plus grand obstacle, apparemment insurmontable, à une représentation démocratique, ce sont les partis politiques eux-mêmes, dont l’évolution a viré à la dégénérescence structurelle des partis, de droite comme de « gauche », ces partis qui sont devenus des machines de soustraction et d’abrogation de la souveraineté des citoyens, d’aliénation même de la souveraineté populaire.

Une condition encore mieux connue, mais férocement refoulée : la neutralisation du pouvoir de l’argent dans la sphère publique.

Je ne suis pas moi-même un défenseur de la démocratie directe : je pense que la décision démocratique s’approche de son idéal lorsqu’elle se nourrit de discussion, d’ « agir communicationnel ».

Mais c’est justement parce que je défends la démocratie représentative, par délégation, que je trouve nécessaire de souligner à quel point aujourd’hui cette « représentativité » est une fiction et les partis des machines autoréférentielles, à quel point la politique vue comme une carrière oblige les électeurs à considérer « leurs » représentants, et ce dès le lendemain du vote, comme un « eux » opposé à un « nous », une caste ou une guilde, étrangère et souvent « ennemie », retranchée dans ses privilèges.

Le résultat des élections européennes 2014 a vu la victoire fracassante de partis antidémocratiques. La cause principale : la souveraineté des citoyens confisquée – via une corruption institutionnalisée.

Il est bon de rappeler ici l’étrange hubris (outrance dans le comportement inspirée par l’orgueil) du refoulement, celle qui identifie l’exercice de la souveraineté populaire au pouvoir des majorités sorties des urnes. Est-il possible que, 80 ans à peine après la tragédie de l’Europe par excellence, on ait déjà oublié qu’Hitler arriva au pouvoir par voie électorale, dans le respect des formes constitutionnelles ? Et que, par conséquent, le vote, même celui qui est formellement correct, ne constitue pas l’essence de la démocratie, le saint des saints de la souveraineté, mais qu’il n’en est qu’un instrument ! Un instrument central, certes, mais un instrument malgré tout, et même un parmi d’autres.

A l’instar des pays arabes, il ne faudrait pas que cette indignation sortie des urnes dimanche n’oblige l’Europe à devoir opter entre un hiver de la dictature financière « démocratique » et le sombre abîme des nouveaux fascismes enrobés de sucre.

Pour en savoir plus sur la corruption, voir le site Paradis fiscaux et judiciaires

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