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Vivons nos temps
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29 avril 2013

Connaissez-vous bien Erik Satie ?

satieJ’ai découvert un texte ancien, signé Jean Roy, qui relate qui fut Erik Satie. Je vous fais partager ici, cette découverte. En le faisant, j’espère vous apporter quelques lumières  sur ce grand musicien.

Le piano occupe, dans l’œuvre d’Erik Satie, une place privilégié. D’abord, le cadre intime du piano convenait au musicien. Le piano, tel qu’il le traite, ne cherche pas à rivaliser avec l’orchestre. C’est du piano, en blanc et noir, sans faux-semblants, sans effets de virtuosité. Pyrotechnie, irisations, chatoiements sont délibérément laissés de côté. Du clavier ne jaillissent ni fontaines, ni raz-de-marée.

Quant au pianiste qu’était Erik Satie, et à ce qu’il attendait de ses interprètes, nous possédons deux témoignages qui, à quarante années de distance, se recoupent parfaitement. Voici d’abord, sur les registres du Conservatoire (années 1880 à 1882), les appréciations de Descombes : « Très belles mains, belle sonorité… Joli son, mains splendides… Une belle et solide main très souple, un joli son ». Puis, sous la plume de Pierre Bertin, pour les années 20, la description du jeu de la pianiste Marcelle Meyer qui « jouait les œuvres de Satie comme il aimait qu’on les jouât, avec le sens du poids sonore de la note bien frappée dont les harmoniques semblent être les émanations de la pensée musicale ». La chose extraordinaire est que Satie, en raison de son extrême pauvreté, n’a jamais possédé un instrument convenable.

Florent Schmitt évoque ainsi le temps de la rue Cortot : « Comme son mobilier ne comportait pas de piano, il se rendait chez des amis, au sortir de ses longues et studieuses séances de placard, pour se donner la joie d’entendre sa musique autrement que dans sa tête ». Les souvenirs  de Francis Poulenc confirment cette singularité : « Erik Satie jouait très rarement du piano. A peine l’ai-je entendu deux ou trois fois accompagner quelques-unes de ses mélodies, et encore, jusqu’au dernier moment, il tentait de s’y soustraire. Le plus souvent, Ricardo Vinès, Marcelle Meyer, Auric ou moi-même lui rendions ce service. Après sa mort, l’état dans lequel on a retrouvé son piano, acheté depuis par Braque, prouve que Satie ne s’en servait jamais. Je m’émerveille en songeant qu’une musique si parfaitement pianistique fut conçue sans le secours d’un instrument… Le piano lui rappelant le temps où il était Tapeur à gages à l’auberge du Clou, Satie préférait, sans doute, ne plus en user.

Cependant, de même que Satie empruntait parfois, le matin, le cabinet de toilette de Jean Cocteau pour se tailler la barbe, il est fort possible que, se trouvant chez des amis, il ait demandé à s’approcher du piano pour « Voir cinq minutes, quelque chose », comme il l’a fait plusieurs fois chez moi. Toujours est-il que Satie avait un sens inné de l’instrument ».

Ce « sens inné de l’instrument » nous frappe dès la première œuvre, véritablement prophétique car elle annonce La Cathédrale engloutie de Claude Debussy, le cahier des Ogives, qui porte la date de 1886.

Un jour, Satie fit, devant Sylvia Beach, l’éloge des « lettres d’affaires ». « Une bonne littérature commerciale, estimait-il, a un sens définitif : vous avez quelque chose à dire, et vous l’exprimez ». Satie n’écrivait pas de « lettres d’affaires » ; il n’avait rien à monnayer. Mais son extrême politesse lui imposait une règle esthétique (et morale) : « L’artiste, déclarait-il encore, n’a pas le droit de disposer inutilement du temps de son auditeur ». Qui ne lui saurait gré d’une telle courtoisie ? Fuir l’emphase, supprimer les détours, les périphrases, les surcharges, simplifier le trait mélodique, n’admettre que les harmonies qui ont quelque chose à dire, s’en tenir à un climat donné (et ne le rompre qu’avec art), écrire une œuvre qui s’imposer par son unité, ce sont les vertus majeures de Satie. L’humble chercheur qu’il fut, a réalisé dans le domaine du piano ce que les plus grands peintres réalisèrent dans le leur.  Il y a du Matisse dans les Gymnopédies, ailleurs, du Lautrec, Braque, Picasso, Bonnard, Douanier Rousseau (c’est Poulenc qui le dit). Et que le piano ait été l’instrument privilégié de ces recherches inestimables permet de ranger l’auteur des Gnossiennes parmi les musiciens qui ont renouvelé la littérature de l’instrument. Car il ne suffit pas ‘d’ajouter pour inventer ; il faut aussi savoir retrancher à bon escient, et choisir sa voie en toute lucidité. J’ai cité l’exemple des peintres. Satie lui-même m’y autorisait : « Pourquoi ne pas nous servir des moyens représentatifs que nous exposaient Claude Monet, Cézanne, Toulouse-Lautrec ? Pourquoi ne pas transposer musicalement ces moyens ? Rien de plus simple. Ne sont-ils pas des expressions ? Là est la source d’un départ profitable à des réalisations quasi sûres, fructueuses même ».

Repenser la musique, repenser le piano, comme les peintres l’avaient fait de leur côté ? Pourquoi pas ? Rien de plus simple en effet. Rien de plus difficile aussi. Et c’est aujourd’hui seulement que nous prenons vraiment conscience de Satie dans l’histoire de la musique, et plus particulièrement dans celle de la musique du piano.

Ogives (1886), Gymnopédies (1888), Gnossiennes (1890)

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