Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vivons nos temps
Vivons nos temps
Publicité
Derniers commentaires
Vivons nos temps
Archives
Visiteurs
Depuis la création 301 050
8 janvier 2013

Nespresso, il n’y a pas d’ailleurs, par Raphaël Enthoven*

nesWhat else ? « Quoi d’autre ? » Avec ce slogan, la marque se prend pour l’église du dieu unique. Hors d’elle, point de salut. Elle ne promet pas l’éternité, mais l’authentique instantané.

Quand vous entrez dans un magasin Nespresso, un costume à quatre épingles vous accueille en demandant, d’un air qui n’admet pas la contradiction, s’il « peut se permettre » de vous offrir un café – comme des marchands touaregs enroulent, avec l’autorité de l’exotique sur le touriste, un chèche sur la tête de votre enfant pour vous contraindre à l’acheter.

Dans le sillage de l’emploi de la première personne du singulier (« En 2012, je donne pour l’Eglise », En Devernois, je suis moi », etc.) qui, parlant à ma place et remplaçant l’impératif par le constat, abolit en mon nom toute initiative individuelle et me concède l’autonomie d’un mouton, le fameux slogan de Nespresso (« What else ? ») fait reposer la liberté du consommateur sur la suppression des alternatives. What else ? Quoi d’autre ? Que reste-t-il ? Que prétendez-vous faire ? Nespresso n’est pas qu’une capsule, c’est une boutique, un club, une façon d’être, un art d’en être, un univers avec son Dieu grisonnant, sa vaisselle et ses propres machines. What else ? ergo Where else ? Où voulez-vous aller ? Nous sommes parfaits, nous sommes partout. Venir chez nous, c’est le bon sens. Laissez-vous gouverner par nous. Nous serons à vos ordres si vous ne nous résistez pas. Coryez, Monsieur, à l’expression de notre séduction distinguée.

De fait, renonçant à la liberté d’aller ailleurs (c'est-à-dire nulle part), vous gagnez l’embarras du choix :Roma, Capriccio, Fortissimo, Lungo, Volluto, Cosi, Dulsao, Arpeggio, Ristretto… Derrière le vendeur en cravate qui, avant se de mettre à votre service, vérifie que vous appartenez à ses fichiers, se dresse un mur de rectangles ordonnés comme une bibliothèque qu’on aurait rangé par collections, et dont les titres qui le composent flattent à la fois l’expertise et le caprice du consommateur. Comment l’aimez-vous Monsieur ? Acide ? Corsé ? Fruité ? Tout en rondeur ou bien puissant ? Aux notes grillées ? Boisées ? Maltées ? Epicées ? Cacaotées ? Quelle sera votre nouvelle « expérience café ? » Chez Nespresso, le café se choisit comme du vin : un grand cru dans un petit cylindre, le design au service de l’artisanat. C’est le monde de l’instantanenthique, de l’authentique instantané, de l’express et du Nescafé. Ainsi, quand on se fait un Nespresso, quand la membrane capsulaire éclate sous la pression de l’eau brûlante, et qu’une fumée lourde accompagne le ronronnement vainqueur de la machine, les bulles précèdent toujours l’arrivée du général Café. Contrairement à la bière pression, Nespresso verse la mousse avant le liquide, comme on met la charrue avant les bœufs.

Il paraît que les cafés Nespresso ne sont pas tous les mêmes. Qu’aux différences de couleurs ou de noms correspondent de véritables écarts de saveurs. Peut-être. Mais même si c’est le cas, avant de l’être effectivement, les cafés Nespresso sont affectivement différents : le plaisir de boire tel ou tel café s’estompe devant l’idée de le faire, le bonheur d’une nuance disparaît sous la joie narcissique de remarquer que les capsules ont un goût. A cet égard, il ne serait pas surprenant d’apprendre un jour que, comme ces boulangeries qui diffusent à l’entrée les effluves de la cuisson du pain, ou les bouteilles d’oxygène qui vous donnent le sentiment de marcher en montagne, les artisans (autrement dit les ingénieurs) de Nespresso aient artificiellement caricaturé les saveurs pour qu’un amateur puisse, en les reconnaissant, admirer pour une fois la finesse de ses papilles.

* Raphaël Enthoven est philosophe et écrivain. Il anime Philosophie sur Arte (le dimanche à 13h30). Il dirige aussi La Folie (Fayard/France-Culture), ouvrage d’entretiens paru en 2012

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité