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14 octobre 2011

Primaires socialistes 2011

Nous avons pu observer, pendant la campagne des « primaires » orchestrée par le Parti socialiste français, que beaucoup de Français se réclament, encore, de gauche ou de droite.

Et voici que je découvre le joli texte de Camille Laurens* que j’ai le plaisir de vous livrer ici, brut de décoffrage, comme on dit :

« On sait que la distinction droite-gauche pour évoquer les deux principales tendances politiques vient de la localisation spatiale des députés par rapport au président, lors des premières assemblées. Cette dénomination traditionnelle s’est maintenue au fil des siècles, et l’on n’y entend pas malice. On peut pourtant se demander ce qui reste, dans l’inconscient de la langue, des connotations très anciennement attachées à ces deux côtés. Chez les Romains, par exemple, était de mauvais augure tout vol d’oiseaux tirant vers la gauche du ciel, le latin senester,« gauche », a d’ailleurs donné l’adjectif « sinistre ». Dans la vie quotidienne, parce que depuis toujours on saisit, sculpte, taille, peint, travaille et écrit mieux de la main droite, toutes les actions qui échappent à cette norme passent pour malhabiles, pleines de gaucherie. Au moment de la dernière campagne présidentielle, alors que les tentatives de séduction battaient leur plein, on a pu entendre à propos d’un candidat, dans la bouche d’une journaliste réticente, cette perle : « il a l’air gauche ». Cela peut parfaitement se dire, surtout d’une personne mal à droite, mais il ne s’agissait pas, en l’occurrence, de rappeler un passé gauchiste ni même une appartenance à la gauche plurielle, non : ce qui était pointé du doigt, c’était la tenue, l’allure. Or, en matière de maintien, il a toujours été mieux vu de se tenir droit – droit comme un i, droit dans ses bottes et sur son fier destrier : il y a de l’adresse à ne pas s’être levé du pied gauche, de la destérité à fuir la sinistrose ; d’adroites poignées de mains ont parfois plus d’effet que des milliers de tracts distribués à droite et à gauche. Depuis l’Antiquité et ses présages, le côté droit a, dans les expressions populaires, comme dans la mondanité, toujours conservé l’avantage ; Jésus a lui-même désigné la meilleure place, « à la droite du Père », l’usage perdure dans les dîners en ville. Au contraire, personne n’est pressé de passer l’arme à gauche, l’idée d’y mettre de l’argent vous classe aussitôt parmi les escrocs, les mariages de la main gauche vous font regarder de travers, bref ce n’est jamais le bon pied sur lequel danser. Car là réside l’injustice inconsciente de la langue : tout ce que qui relève de l’honnêteté, du bon jugement, de la morale est résumé sous ce vocable arbitraire : droit. L’ensemble des lois s’appelle le droit, chacun prône le droit chemin et défend les droits de l’homme : la langue française donne dans la priorité à droite. Certains ont même prétendu retirer à la gauche le monopole du cœur ; c’est pourtant de ce côté-là que bat celui de chacun – le mien, le vôtre – ancré à bâbord, personne n’y changera rien. Dès lors, dans ce lieu généreux où jaillit une pulsation vitale, les mots se détachent des vieilles superstitions qui les ont trop portés : en politique comme ailleurs, qu’importe en effet la gaucherie, pourvu qu’on ait la droiture ».

Le Grain des mots, Camille Laurens, éditions P.O.L. 2003

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